Shigenobu OKUMURA, une vie de sage au service de l'Aïkido.

Par Nicolas DE ARAUJO

 

 

Shigenobu Okumura fut l'un des principaux instructeurs de l’Aïkikaï Hombu Dojo de Tokyo pendant plusieurs décennies. Shihan 9ème dan, disciple du fondateur dès les années 40, il fut nommé directeur permanent de la Fédération Japonaise d’Aïkido, conseiller technique puis membre du conseil supérieur de la Fédération Internationale d'Aïkido. Témoin de l’histoire, sage, discret et érudit, il fut une personnalité majeure au sein de l’organisation Aïkikaï.

Biographie parue dans le magazine Self & Dragon Spécial Aïkido n°18 - Juillet 2024.

 

Shigenobu Okumura (奥村繁信) est né en 1922 à Otaru, une ville portuaire située sur l'île d'Hokkaido. A l’âge de trois ans, le jeune Shigenobu part vivre avec sa famille à Dalian, une grande ville située en Mandchourie, un territoire chinois occupé par l’armée impériale japonaise dans le cadre de sa politique expansionniste. Son père y est alors muté dans le cadre de son travail pour la société culturelle Chine-Japon (Chunichi Bunka Kyokai). Sa mère est directrice de la société des femmes de la ville. Au début des années 30, la police japonaise locale propose des cours d’autodéfense féminine. Sa mère pratique ainsi l’Aïki-Budo sous la direction d’Aritomo Murashige et de Yoichiro Inoue, tous deux proches disciples de maître Ueshiba. Agé d’une dizaine d’années, le jeune Shigenobu pratique le Kendo et le Sumo mais ne s’intéresse pas à cette pratique martiale. Il se contente d’observer sa mère dans le dojo en train d’effectuer des techniques en suwari waza la plupart du temps.

 

L’Aïki-Budo à Kendai

En 1940, Shigenobu intègre l’université Manshu Kenkoku Daigaku, également connue sous le nom de « Kendai ». Le jeune homme y étudie sa matière de prédilection : l’économie mais également le Russe et le Chinois. Cette université est l’une des premières à imposer dans son programme l’étude des arts martiaux. Shigenobu pratique ainsi régulièrement le Kendo, le Judo et le Jukenjutsu (baïonnette). Il débute l’étude de l’Aïki Budo, sous la direction de Kenji Tomiki, l’un des meilleurs disciples et représentant officiel de maître Ueshiba en Mandchourie. Les étudiants russes sont mélangés aux jeunes japonais et pratiquent ensemble les arts martiaux.

 

La rencontre avec O Sensei

Shigenobu rencontre maître Ueshiba au cours de sa première année universitaire. Membre de l’association pour la promotion des arts martiaux et consultant pour Kendai, Ueshiba sensei est invité à effectuer une démonstration à l’occasion de la commémoration du 2600ème anniversaire du Japon. Il est accompagné de son neveu Noriaki Inoue et de Shigemi Yonekawa. Les trois hommes présentent une démonstration de haut vol qui fascine le jeune Shigenobu. Par la suite, O Sensei se rend en Mandchourie à chaque automne en tant qu’invité de l’université ou du gouvernement mandchou. A Kendai, il est toujours accompagné et assisté par son neveu Inoue. Okumura et ses camarades pratiquent selon une méthode d’enseignement traditionnelle : maitre Ueshiba montre la technique sans donner de détail et les élèves pratiquent ensuite. Les techniques n’ont pas de noms. L’accent est porté sur les éléments utiles pour le combat, tels que la pratique des atemis au visage, notamment les frappes aux yeux ou au menton avec le talon de la main.

 

Pratique au Kobukan Dojo

Shigenobu étudie avec grand intérêt l’Aïki-Budo auprès de Tomiki Sensei et de son assistant Hideo Ohba tout au long de son cursus universitaire à Kendai. Pendant ses vacances d’été et d’hiver, il retourne à Otaru dans son Hokkaido natal. Il profite également de ses semaines de liberté pour suivre les cours au dojo central de maître Ueshiba à Tokyo. A cette époque, le Kobukan compte de nombreux officiers de haut rang de l'armée et de la marine, la pratique y est sévère et bien différente de Kendai. Les rangs des uchi-deshi (élèves internes) sont clairsemés car les jeunes disciples sont tous appelés pour rejoindre les rangs de l’armée impériale. Lors de ses séjours, Shigenobu partage la vie des uchi deshi et s’entraine avec Kanshu Sunadomari, Toshinobu Matsumoto, Koichi Tohei ou encore Kisaburo Osawa. Cette jeunesse est alors chaperonnée par Minoru Hirai, le Directeur des affaires générales du Kobukan, sans oublier le docteur Kenzo Futaki, le fondateur du Misogi no Renseikai. Elève de la première heure de maître Ueshiba, il vient régulièrement réveiller les élèves, vers 5h30 du matin, pour participer au premier cours d’O Sensei.

 

La seconde guerre mondiale

O Sensei effectue son dernier séjour en Mandchourie en 1943. Après cette date, le voyage devient impossible en raison de la guerre. Comme de nombreux étudiants, Okumura est mobilisé par l’armée japonaise et se voit provisoirement diplômé de l’université. Après avoir effectué ses classes au Japon, il passe avec succès l’examen d’aspirant officier. L’obtention de ce grade l’empêche d’accompagner son unité initiale pour la bataille de l’île de Guam. A la fin 1943, Okumura est affecté en Mandchourie en tant qu’instructeur pour former les jeunes conscrits japonais et coréens. Alors que la bataille décisive d’Okinawa entraine le rapatriement des canons et du personnel militaire au Japon, en mai 1945, Okumura est chargé de rester en Mandchourie pour participer à la lutte contre l’avancée de l’union soviétique. Le manque d’hommes est tel qu’il est nommé commandant de compagnie alors qu’il n’est qu’un apprenti officier. Mobilisé pour suivre une formation de commandant à Liaoyang, Okumura ne participe pas aux combats mortels du 9 aout 1945, lorsque l’armée rouge pénètre en Mandchourie. La victoire soviétique provoque la capitulation du Japon le 15 aout 1945. La colonie mandchoue tombe et Shigenobu Okumura est fait prisonnier de guerre. Avec ses camarades, il est interné dans un camp russe, situé à Bucky en Sibérie, où il sert d’interprète russe-japonais.

 

Retour au japon

Après trois ans de captivité, Shigenobu est rapatrié au Japon en juillet 1948. Il retourne vivre sur l'île d'Hokkaido pensant qu’il y sera plus facile de se nourrir que dans une capitale ravagée par les bombes. Après son retour, il se rend au Kobukan Dojo de Tokyo. Si le Kobukan est l’un des rares bâtiment encore debout, il n’y trouve personne. En effet, le fondateur s’est retiré dans la petite ville d’Iwama, dès 1942, pour s'investir dans l'agriculture et dans l’entrainement loin des forces d’occupation américaines ayant interdit la pratique des arts martiaux. Désireux de revoir Ueshiba Sensei, Okumura se rend dans sa nouvelle demeure pour lui présenter ses salutations. Lors de leurs retrouvailles, O Sensei lui tient le discours suivant « Okumura, les dieux nous ont punis ; nous devons tout corriger ! ». Maître Ueshiba, son fils Kisshomaru et les dirigeants du Kobukai, œuvrent alors ensemble pour « créer une nouvelle compréhension de l'esprit et des principes qui sous-tendent l'Aïkido ».

 

Développement de l’Aïkido

Le 9 février 1948, le ministère de l’éducation autorise le rétablissement du Kobukan et la création de la fondation Aïkikai. Afin d’organiser la reprise progressive de l’activité, Kisshomaru, le fils du fondateur, retourne vivre à Tokyo. Il s’appuie sur les anciens disciples restés fidèles à son père. Parmi eux, Shigenobu Okumura, Koichi Tohei ou encore Kisaburo Osawa participent activement à la reprise de l’enseignement au dojo de Tokyo désormais appelé Aïkikaï Hombu Dojo. En 1952, le traité de San Francisco permet au Japon de recouvrir son autonomie politique et relance l’économie du pays. Promu 6ème dan au milieu des années 50, Okumura Sensei joue un rôle significatif dans le développement de l’Aïkido d’après-guerre. Il enseigne dans les clubs universitaires et anime les cours du matin au Hombu Dojo.

 

Instructeur sénior

Son enseignement est caractérisé par un souci de conjuguer la pratique technique et l’esprit. Pendant ses cours, Okumura Sensei écrit régulièrement sur un tableau pour mieux transmettre la richesse de l’Aïkido. Maître Ueshiba, déjà âgé de plus de soixante-dix ans, n'enseigne pas de façon régulière à Tokyo et voyage souvent. Il délègue cette tâche à son fils Kisshomaru, à Koichi Tohei et aux enseignants seniors du Hombu Dojo. Shigenobu présente à O Sensei le système respiratoire Igushi qu’il a appris précédemment au sanctuaire Iso No Kami. Ouvert d’esprit et enthousiaste pour intégrer de nouvelles approches, ce dernier valide l’intégration de ces exercices de respiration dans la préparation dispensée au Hombu Dojo.

 

Personnalité éminente

Dès la fin des années 50, Okumura Sensei sert d'intermédiaire lors des échanges entre l'Aïkikai et Kenji Tomiki au sujet de sa forme d'Aïkido de "compétition". Bien qu’O Sensei soit fermement opposé à l’introduction de la compétition dans son art, Tomiki Sensei persévère dans cette voie. Bien qu’il fût son élève en Mandchourie, Okumura Sensei l’exhorte, à plusieurs reprises, à changer le nom de son art afin d’éviter toute confusion avec la voie de maître Ueshiba. Personnalité majeure de l’Aïkikaï, maître Okumura est le responsable des débutants au Hombu Dojo durant de nombreuses années. Avec lui, les passages de grades revêtent une méthode particulière. Un premier Sensei évalue les Kyu, un Sensei plus expérimenté évalue les grades dan et enfin maître Okumura donne un avis global sur le candidat, sa technique mais également son état d’esprit. Nommé Directeur de la Fédération Japonaise d’Aïkido, il est également l’auteur d’un livre intitulé « Aïkido », publié en 1973. En parallèle de ses hautes fonctions à l’Aïkikaï, Okumura Sensei exerce la fonction de comptable à l’institut de l’impôt sur le revenu. Après sa retraite, il continue à travailler comme fiscaliste agrée, membre de l’ordre des comptables.

 

Reconnaissance internationale

Témoin privilégié de l’histoire de l’Aïkido, Okumura Sensei est interviewé par le journaliste américain Stanley Pranin, en mai 1983, pour le journal Aïki News. Par la suite, les deux hommes entretiennent une longue relation débouchant sur plusieurs interviews publiées dans le magazine en 1990, en 1999, en 2002 et en 2007. Okumura Sensei occupe également les plus hautes fonctions internationales. Il est nommé membre du conseil supérieur de la Fédération Internationale d’Aïkido (FIA), à l’occasion du 4ème congrès qui se déroule à Tokyo en Aout 1984. Il dirige à cette occasion une session d’entrainement. 4 ans plus tard, il est présent au 5ème congrès de la FIA. En 1992, maître Okumura est nommé Conseiller Technique pour la FIA puis, en 1996, il redevient membre du Conseil Supérieur. Bénéficiant d’une reconnaissance internationale sur le tard, il se rend pour la première fois aux Philippines à la fin des années 80. Il voyagera également en Europe pour enseigner aux Pays-Bas et au Royaume-Uni en 1993 et en 1994. Il est reçu à Cardiff par Minoru Kanetsuka Sensei.

 

Dernières années

Reconnu et apprécié pour ses connaissances incomparables sur l’histoire du Japon et les arts martiaux japonais, Okumura Sensei est membre de la Japanese Classics Research Society et du Nihon Budo Gakkai, une organisation regroupant des universitaires et des chercheurs sur l’étude des Budos. Le gouvernement Japonais lui décerne le Budokorosha en 1987 pour sa contribution au développement des arts martiaux. Maître Okumura rédige régulièrement des articles, donne des interviews et anime également des conférences, comme à l’occasion du 9ème congrès de la FIA en 2004. En 2008, il participe à un recueil d’entretiens des disciples du Fondateur, publié en Japonais par Christopher Li sous le nom de « Profils du Fondateur ». Son interview est également diffusée dans le célèbre magazine d’arts martiaux « Gekkan Hiden ». Shigenobu Okumura s'éteint, le 12 août 2008, à l'âge de 86 ans. Il était alors l'instructeur le plus âgé de l'Aikikai Hombu Dojo et le directeur permanent de la Fédération Japonaise d'Aïkido.

 

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