Hisao Kamada, le temps des premiers uchi deshi

Par Nicolas DE ARAUJO

 

 

 

Hisao Kamada fut l’un des tous premiers disciples du fondateur et l’accompagna lors de ses débuts à Tokyo. Elève interne du Kobukan dojo dès son ouverture, le jeune Kamada fut assistant du maître et occupa différentes fonctions administratives. Instructeur au Budo Senyokai, il contribua à la diffusion de l'art du fondateur dans le pays. Incorporé dans l’armée, il reprit la pratique après son service et enseigna l’Aïki-Jujutsu avec son partenaire, Ikkusai Iwata, pendant plusieurs années à Shanghai.

Cette biographie est parue dans le magazine Dragon Spécial Aïkido n°27 de Janvier 2020.

 

Hisao Kamada (鎌田久雄) est né en 1911 à Suhara près de la ville de Tanabe, dans la préfecture de Wakayama.

Fils d’une adepte de la secte Omoto Kyo, Hisao est admis dans le dojo privé de Maître Ueshiba à Tokyo en 1929.

 

Les débuts à Shiba-Takanawa

Ueshiba sensei réside alors dans le quartier de Shiba-Takanawa, près du célèbre temple Sengaku-ji, qui abrite la sépulture des légendaires quarante-sept samouraïs "ronins". Morihei et sa famille vivent dans une maison louée par le commandant Matsushita, retraité de la marine impériale et proche de l’amiral Takeshita. La maison est petite et la salle d’entrainement est composé de huit tatamis répartis dans deux pièces où l’on a retiré les portes à glissières pour ouvrir un plus large espace.

Les premiers mois, Hisao, n’est pas autorisé à s’entrainer mais il a le droit de s’asseoir en seiza et de regarder la pratique. Entre deux cours, le jeune garçon est sollicité par le maître pour lui masser les épaules et ainsi augmenter sa force.

Confié par sa famille aux Ueshiba, Hisao vit auprès d’eux et Noriaki Inoue, neveu et premier disciple de Morihei.

 

Les premiers élèves

L'influence de l’amiral Takeshita attire de prestigieux disciples vers l’Aïki-jujutsu de maître Ueshiba. Le dojo compte parmi ses membres des nobles, des fonctionnaires et des officiers de haut rang de la marine et de l’armée impériale.

Après la pratique, Kamada se voit confier la responsabilité de servir le thé au maître, aux officiers ainsi qu’aux étudiants. Il doit aussi nettoyer le dojo une fois l’entraînement terminé.

Hisao accompagne également Ueshiba sensei dans ses déplacements notamment à la compagnie sucrière de Shiomizuko, à l’école navale où il enseigne aux gardes du palais impérial et à Kojunsha.

Takeshi Nishimi, cinquième dan de Judo, Gunichi Oshikawa, salarié des chemins de fers nationaux et Kikuo Kaneko, étudiant en langues étrangères à l’université Gaigo font partie des premiers élèves du dojo.

 

Le dojo temporaire de Mejirodai

La fragilisation de l’édifice, suite aux nombreuses chutes, et le manque de place entrainent le fondateur à déménager son dojo. Après avoir recueilli les donations financières suffisantes et avec le soutien de Koshiro Inoue (le père de Noriaki) et de la famille Ogasawara, Morihei réussi à acquérir un terrain dans le quartier d’ushigome.

Avec l’aide de Zentaro Miwa, la famille Ueshiba établit, en 1930, un dojo temporaire dans le quartier de Mejirodai, en attendant que la construction du futur dojo soit terminée.

Leurs élèves internes (uchi deshi), Noriaki Inoue et Hisao Kamada, les accompagnent dans leur nouvelle demeure.

De nouveaux disciples les rejoignent peu de temps après, parmi eux Montaro Mori puis Ikkusai Iwata recommandé par le docteur Kenzo Futaki, élève de la première heure de maître Ueshiba.

 

La venue de Jigoro Kano

En octobre 1930, Jigoro Kano est invité, par l’Amiral Takeshita, à une démonstration de maître Uehiba au dojo de Mejiro. 

Impressionné par sa virtuosité, le fondateur du Judo propose d’engager Morihei pour enseigner au Kodokan. Malgré le respect mutuel que se portent les deux hommes O Sensei refuse la proposition du fondateur du Judo.

Kano sensei sollicite alors, parmi ses meilleurs élèves, Shuichi Nagaoka, Minoru Mochizuki et Jiro Takeda pour étudier l'Aiki-jujutsu auprès de maître Ueshiba.

 

Le Kobukan dojo

Le déménagement progressif de la famille Ueshiba et des uchi deshi, Inoue et Kamada, à Ushigome, de décembre 1930 au printemps 1931, marque la fin des dojos temporaires.

Grâce aux efforts de l’Amiral Takeshita et de ses mécènes, l’ouverture d’un authentique dojo à Wakamatsu-cho, Ushigome, le quartier commercial de Tokyo, permet enfin d’accueillir un nombre d’élèves plus importants, en lien avec la réputation grandissante de maître Ueshiba.

Le bâtiment en bois de cent vingt mètres carrés environ est nommé Kobukan, "le dojo du guerrier impérial".

La surface d’entrainement est composée de quatre-vingt tatamis. L’édifice abrite également le logement de la famille Ueshiba et les quartiers réservés aux élèves internes.

L’inauguration officielle se déroule en avril 1931, en présence de l'amiral Seikyo Asano, de l'amiral Isamu Takeshita, du général Makoto Miura, du docteur Kenzo Futaki, de maître Ueshiba, sa famille et des premiers uchi deshi du Kobukan : Noriaki Inoue, Hisao Kamada, Ikkusai Iwata et Minoru Mochizuki.

 

Une vie d’uchi deshi

Les nouveaux quartiers permettent d’accueillir une vingtaine d’élèves internes. Si, au début, Hisao partage sa chambre avec Ikkusai Iwata, les deux jeunes garçons sont rapidement rejoints par Minoru Mochizuki, Kaoru Funahashi, Tsutomu Yukawa, Aritomo Murashige, Masaru Inoue, Hirota, Manago, Ryzosuke Suzuki et Kanshichi Hashiguchi.

Le rythme de vie est intense, en parallèle des corvées ménagères, les uchi deshi s’entraînent quatre fois par jour, le matin de très bonne heure, en fin de matinée, l’après-midi et en soirée. La plupart de ces jeunes hommes sont également des pratiquants avancés d’autres disciplines martiales, la pratique est sévère et le dojo gagne le surnom de "dojo de l’enfer".

Devant faire face à une lourde charge d’enseignement, maître Ueshiba doit s’appuyer sur plusieurs assistants pour remplir ses engagements. Avec Noriaki Inoue et Minoru Mochizuki, Hisao Kamada fait partie des senpaïs (aînés).

Issu d’une famille d’adeptes de l’Omoto Kyo, Hisao est chargé des prières quotidiennes devant l’autel shinto de la maison et de celui du dojo. Il doit ainsi préparer l’eau, le riz et le sel chaque matin…

Confié par sa famille aux Ueshiba, le jeune Kamada ne paye pas de frais d’inscription ni de pension comme les autres uchi deshi, mais doit en échange s’acquitter de plusieurs tâches administratives. Il s’occupe notamment des inscriptions et des donations du Kobukan puis les transmet à madame Ueshiba.

 

Les visites de Sokaku Takeda

Depuis son arrivé à Tokyo, Morihei entretien une correspondance avec son maître Sokaku Takeda. Personnage singulier, il se rend régulièrement chez son disciple, la plupart du temps sans prévenir au préalable.

Peu de temps avant son inauguration officielle, Sokaku Takeda dirige un séminaire au Kobukan dojo, du 20 mars au 7 avril 1931.

Se comportant comme s’il était chez lui en l’absence de maître Ueshiba, il sollicite régulièrement le jeune Kamada pour jouer au Shogi, un jeu de société proche des échecs. Mauvais joueur, Takeda profite des fréquentes absences d’Hisao pendant la partie, pour déplacer les pièces à son avantage.

Excellent technicien mais au comportement étrange, Takeda sensei enseigne personnellement aux élèves présents tout en leur réclamant de l'argent pour chaque technique démontrée.

 

Instructeur au Budo Sen'yokaï

Bien qu’éloigné physiquement de la secte Omoto Kyo depuis son arrivé à Tokyo en 1927, Morihei entretien toujours des liens étroits avec ses dirigeants.

A l’initiative du révérend Onisaburo Deguchi, l’association nationale pour la promotion des arts martiaux, la "Dai Nippon Budo Sen'yokai", est fondée en août 1932. Cette société, créée sous les auspices de la secte, a pour but la promotion de l'enseignement de maître Ueshiba parmi les disciples de cette importante communauté religieuse qui possède des installations dans tout le pays.

Hisao Kamada est envoyé en tant qu’instructeur-assistant dans les sites de Kameoka, le siège administratif de la secte, et de Takeda, le siège du Budo Senyokaï.

Ouvert à tous, l’enseignement est adapté aux différents types d’élèves. L’Aïki-Jujutsu d’Ueshiba devient très populaire et le nombre d'étudiants augmente fortement, notamment au quartier général de Takeda. Dans ce district, situé dans la préfecture de Hyogo, un dojo de cent cinquante tatamis accueille entre soixante-dix à quatre-vingt pratiquants à chaque entrainement. 

Hisao Kamada y dirige des camps d’initiation pour les futurs uchi deshi et ne retourne qu’à de rares occasions au dojo central de Tokyo. Il concentre son activité dans la région pendant plusieurs années en enseignant et donnant des conférences dans différents dojos. A l’instar des autres assistants tels que Inoue, Yukawa et Funahashi, Kamada contribue grandement à la diffusion de l'art dans le pays où soixante-quinze dojos affiliés au Budo Senyokai seront finalement créés.

 

Incorporation dans l’armée

Le Japon, dirigé par la caste des militaires, mène une politique expansionniste en Chine et crée l'état du Mandchoukouo en 1934, quelques mois après avoir quitté la société des nations.

A la suite du second incident Omoto, le Budo Sen'yokaï est démantelé en 1935, maître Ueshiba échappe de peu à l'arrestation et se voit contraint de rompre ses relations avec la secte pour ne pas être inquiété. Hisao quitte le dojo de Takeda.

En 1936, il est incorporé au sixième régiment de l’armée impériale Japonaise et stationne à Wakayama jusqu’à sa démobilisation en 1938.

 

Un dojo à Shanghaï avec Iwata

A son retour à la vie civile, Kamada doit s’assumer financièrement. Il demande à être exempté d’entraînement et abandonne la pratique de l’Aïki-Jujutsu.

Après une brève période en Mongolie, il part vivre à Shanghai où il devient marchand de glace.

En Chine, il retrouve son ancien partenaire Ikkusai Iwata et l’aide comme instructeur assistant dans son dojo, succursale du Kobukaï, ouvert en 1940.

Les deux hommes enseignent dans cette ville jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale et la capitulation du Japon en septembre 1945.

 

Retour au Japon

A son retour au Japon en 1946, Hisao part vivre dans la ville d’Osaka.

Il abandonne définitivement la pratique et s’occupe d’un commerce de maroquinerie.

Toujours respectueux et proche de la famille Ueshiba, Kamada participe aux réunions des anciens uchi deshi d’avant-guerre organisée par le Doshu Kisshomaru Ueshiba une à deux fois par an. Il retrouve à ces occasions les partenaires de ses débuts Ikkusai Iwata, Minoru Mochizuki, Shigemi Yonekawa, Gozo Shioda, Rinjiro Shirata ou encore Kenji Tomiki.

 

Dernières années

Hisao prend sa retraite professionnelle en 1977 et se retire dans la ville de Ueda, située dans la préfecture de Nagano.

En octobre 1981, Hisao Kamada est sollicité par Stanley Pranin, rédacteur en chef du magazine Aiki News, pour une interview. Leur entretien paraitra dans le magazine en anglais et en japonais dans la revue Aïki News n°49 de juin 1982. Il sera également publié, en 1993, dans le recueil d’interviews menées par l’historien américain intitulé "les maîtres de l’Aïkido, période d’avant-guerre".

Hisao Kamada s’éteint en 1986, à l’âge de 75 ans.

 

 

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