Entretien avec Luc Bouchareu Shihan : « apprendre, prendre, rendre, mon idéal de l’Aïkido »

 

 

Luc Bouchareu débute le Judo à l’âge de cinq ans et découvre l'Aïkido à 18 ans. Il a suivi les enseignements de maître Tamura pendant de nombreuses années. Chargé d’enseignement national, membre du bureau technique de la Fédération Française d’Aïkido et de Budo (F.F.A.B.), il enseigne de nombreux stages à travers la France. Expert humble et généreux, il retrace avec nous son riche parcours et nous fait partager, avec sincérité et humilité, le sens qu’il donne à la pratique.

Entretien avec Luc Bouchareu, par Nicolas De Araujo, paru dans le magazine Self & Dragon Spécial Aïkido n°20 de janvier 2025.

 

Comment avez-vous débuté la pratique des arts martiaux ?

Mon père pratiquait le Judo et la boxe, c’est donc tout naturellement que j’ai commencé avec lui. Il enseignait le Judo, notamment aux jeunes, ainsi qu’à ses patients, car il était infirmier psychiatrique. Le Judo m'a tout de suite plu, et j’ai commencé à en faire vers l’âge de cinq ans. J’étais un enfant très agité, et mon père nous faisait également boxer et courir pour canaliser notre énergie. J'ai pratiqué le Judo de manière intermittente pendant plusieurs années, avec quelques interruptions à cause de l’école. Mais à chaque rentrée, l’odeur du Dojo me poussait à reprendre. Ce lien avec le Judo a duré jusqu'à mes 18 ans. J'ai aussi pratiqué la natation, le rugby, et d'autres sports, mais le Judo, les arts martiaux, ont toujours été un fil rouge dans ma vie. À 18 ans, après avoir passé le concours de l’École Normale, je me suis retrouvé à Aix-en-Provence. Je voulais reprendre le Judo, mais j’ai découvert qu’il y avait un cours d’Aïkido à l’École Normale, donné par Jean-Paul Moine. Mon père me l’a conseillé car il avait pratiqué l’Aïkido quand il était à l’armée. C’est ainsi que j’ai débuté la pratique de l’Aïkido.

 

Qui fut votre premier professeur ?

Mon premier professeur était Jean-Paul Moine. Ses cours étaient vraiment très intenses, à tel point que j'ai dû m'entraîner en parallèle pour réussir à tenir le rythme. Lors de notre première année, nous devions participer à un stage d'une semaine consacré aux activités socio-éducatives. J'ai donc proposé à mes camarades de classe de venir assister aux cours de Jean-Paul. Le programme était simple : un cours d'une heure et demie le matin, un autre d'une heure et demie le soir, et le reste du temps libre. Au départ, tout le monde était partant : nous étions 25 pour le premier cours, 12 pour le deuxième, et seulement 4 pour le troisième ! Ce qui m'a vraiment séduit à l'époque, c'était l'aspect extrêmement physique des cours. Dans mon souvenir, j'ai rarement eu des entraînements aussi intenses, et c'était exactement ce dont j'avais besoin à ce moment-là.

 

Quels sont les Senseis français qui vous ont influencé ?

Jean-Paul Moine nous a présenté Claude Pellerin, Jean-Paul Avy, Jean-Luc Fontaine, Roberto Arnulfo, les cadres techniques de notre ligue. Il nous a immédiatement encouragés à suivre les cours de Maître Tamura. Parmi tous ces enseignants, ceux qui m'ont le plus marqué sont Claude Pellerin et Roberto Arnulfo. Claude m'a pris sous son aile pendant longtemps. Quant à Roberto, son enseignement était à la fois très physique et d'une finesse remarquable. Techniquement, il continue de m'impressionner, je retourne encore le voir assez régulièrement, car je découvre toujours de nouvelles choses. Actuellement, c’est un de mes modèles.

 

Comment s’est passé votre première rencontre avec Tamura Sensei ?

Ma première rencontre avec Tamura Sensei s'est déroulée de manière assez inattendue. À l'époque, je n'avais même pas conscience que j'étais en présence d'un grand maître japonais. J'étais encore débutant, avec seulement deux ans de pratique à mon actif. A Aix, c'était Armand Mamy Rahaga, l'un de ses élèves directs, qui dirigeait le cours. Tamura Sensei était monté sur le tapis pour pratiquer, et nous nous sommes simplement salués. C'est seulement après que j'ai réalisé l'importance de l'homme que j'avais en face de moi. Il me semble qu'à cette époque, Maître Tamura était malade, et on ne le voyait pas souvent. Mes souvenirs sont lointains, cela remonte à 40 ans, mais ce qui m'a marqué, c'est son comportement sur le tapis. Il travaillait avec tout le monde, passait d'un élève à l'autre pour corriger les mouvements. Au premier abord, il semblait être une personne ordinaire avec qui l'on pouvait s'entraîner sans appréhension. C'était étonnant de voir une telle accessibilité. Mais très vite, j'ai compris qu'il ne s'agissait pas d'un pratiquant comme les autres. Il y avait une aura particulière autour de lui, une manière de se tenir et de se déplacer qui dégageait une rectitude impressionnante. Ce qui m'a vraiment plu, c'est qu'il n'hésitait jamais à monter sur le tapis pour travailler avec les élèves, et cela est resté vrai jusqu'à la fin de sa vie, même après 70 ans. Il était à la fois un maître et un professeur, mais aussi un pratiquant parmi les autres, toujours prêt à partager son savoir directement sur le tatami.

 

Vous avez suivi Tamura Sensei durant de nombreuses années, quelle était votre relation avec lui ?

J'ai vécu de très beaux moments avec Tamura Sensei. C'est lui qui m'a fait passer tous mes grades et qui m'a suivi dans ma progression. Lors de mon passage pour le 3e Dan, il a été particulièrement exigeant, et je dois admettre que mon travail ce jour-là n'était pas à la hauteur. Cette expérience m'a poussé à me surpasser pour le 4e Dan, où il est venu me féliciter. Pour moi, Tamura Sensei n'était pas seulement un maître d'aïkido, mais un mentor à la manière des maîtres d'école d'autrefois, à qui l'on pouvait aussi poser des questions sur la vie. Il ne se contentait pas de donner des cours exceptionnels, il était aussi un guide, toujours prêt à offrir des conseils. Chaque fois qu'il revenait du Japon, il nous apportait de nouvelles idées, des techniques à travailler, des enseignements qu'il avait lui-même appris ou approfondis. Son enseignement allait bien au-delà de la simple technique. Ce qui m'a particulièrement marqué chez lui, c'était sa philosophie du keïko, cette idée de s'entraîner continuellement, de toujours faire un peu plus que ce qui est demandé. Même blessé, il continuait à s'entraîner, à revenir sur le tapis, à pratiquer avec d'autres personnes. C'est cette persévérance qui m'a profondément inspiré et qui me pousse à continuer l'aïkido aujourd'hui. Je relis souvent son livre « Aïkido » parce que j'y trouve des enseignements qui me parlent toujours. Tamura Sensei était une référence, un maître auquel je me réfère constamment. Il a toujours travaillé à développer ses qualités, cherchant sans cesse à s'améliorer. C'est cette quête continue qui a marqué sa vie et qui continue d'influencer la mienne.

 

Comment était-il ?

Maître Tamura parlait souvent de simplicité et d'engagement, des valeurs que j'ai retrouvées récemment dans un livre écrit par un maître de thé. Ce qui frappait chez lui, c'était la pureté de son Aïkido : ses mouvements étaient simples, dépourvus de fioritures, sans gestes superflus. Il parvenait à instaurer une harmonie, non seulement dans la technique, mais aussi dans ses interactions avec les autres. Cette harmonie globale se manifestait même lors des réunions, où il avait une capacité remarquable à calmer les esprits et à recentrer les discussions sur l'essentiel. Cependant, lorsqu'il rencontrait une personne dont l'attitude posait problème, il n'hésitait pas à lui dire les choses clairement.

 

Avez-vous des anecdotes le concernant ?

Il avait toujours une attitude martiale, même en dehors du tatami. Je ne l'ai presque jamais vu s'adosser à une chaise. Il restait toujours droit, impassible, même lors des réunions qui s'éternisaient. Cette posture, cette vigilance constante, faisait partie de sa nature, et c'était impressionnant à observer. J'ai un souvenir qui illustre parfaitement son aspect martial. Un jour, nous étions à table, discutant après un stage où nous avions travaillé Shomen Uchi. Un de mes amis, assis à côté de lui, lui dit : "Mais si je vous attaque maintenant avec un couteau, ici, hors du tatami, ça ne fonctionnera pas, n'est-ce pas ?" Tamura Sensei lui a simplement répondu : "Si tu dois m'attaquer, alors fais-le." Mon ami, un peu sceptique, a saisi le couteau de cuisine qui se trouvait sur la table et l'a attaqué. Ce qui s'est passé ensuite est gravé dans ma mémoire. La réponse de Tamura Sensei a été d'une violence incroyable, d'une rapidité et d'une précision redoutables. En un instant, mon ami s'est retrouvé immobilisé, sa tête coincée contre la table, le couteau écarté. Je n’avais jamais vu ça !

 

 

Excepté Tamura Sensei, quels sont les maîtres japonais qui vous ont marqués ?

Les maîtres Sugano, Chiba, Yamada, Kanai, et Tada. J'aimais beaucoup Maître Sugano, son gabarit imposant s'accordait avec un Aïkido à la fois précis et exigeant. Il avait cette capacité unique à créer du vide autour de lui en permanence. Maître Tada, quant à lui, m'a impressionné par son regard perçant, sa puissance et sa vivacité. En ce qui concerne Maître Kanai, je regrette de ne pas l'avoir connu davantage. Son Aïkido m'intéressait énormément. Ce qui m'a toujours surpris, c'est sa façon d'agir à contre-courant, à contre-logique, et pourtant, cela fonctionnait parfaitement ! Il avait une approche étonnante, presque comme du Judo sans en être, avec des mouvements rappelant cette discipline dans la manière de se replacer après une technique. Il parvenait sans cesse à déséquilibrer ses partenaires, les plaçant dans une position stable pour mieux les renverser ensuite. C'est difficile à expliquer, mais c'était l'essence de sa pratique. D'ailleurs, Claude Berthiaume, un de ses élèves, a hérité de cette manière de faire, avec beaucoup de talent. Quant à Maître Chiba, on lui prête souvent la réputation d'une pratique brutale, mais selon moi, cela ne s'appliquait qu'à ceux qui le suivaient de près. J'ai eu l'occasion d'être son Uke à plusieurs reprises, et jamais il ne m'a blessé ou secoué violemment. Bien sûr, il m'emportait dans ses techniques, mais jamais de manière brutale. L'apparente dureté que l'on perçoit dans ses interactions avec ses élèves est, à mon avis, quelque chose qu'il leur demandait spécifiquement, en accord avec leur capacité physique à l'encaisser. Si l'on observe ses cours avec des débutants, on remarque qu'il n'était pas du tout violent. Certes, il pouvait mettre ses élèves en danger, mais de la même manière que le faisait Maître Tamura, mais jamais aller au bout du danger.

 

Avez-vous pratiqué d’autres disciplines ?

Oui, j'ai commencé par le Judo, puis j'ai exploré un peu la boxe. Nous nous entraînions entre amis, en utilisant un sac de frappe. Ensuite, je me suis consacré pleinement à l’Aïkido. À mes débuts, je jouais aussi au rugby, ce qui rendait mes semaines très chargées. Je faisais deux entraînements le lundi, deux autres le mardi... C’était intense, mais j’aimais ça. Après mon installation à Aix, j'ai dû arrêter le rugby et me suis concentré exclusivement sur l’Aïkido et l'entretien physique. Malheureusement, je me suis blessé au ménisque, ce qui a nécessité une opération. Le chirurgien m’a alors recommandé de faire beaucoup de musculation pour renforcer mes genoux. À la salle de musculation, je me suis lié d’amitié avec un pratiquant de MMA (Mixed Martial Arts) qui s’entraînait tout près de chez moi. Intrigué, je suis allé voir et j’ai fini par m’inscrire. J’y ai pratiqué le MMA pendant dix ans, en alternant entre les entraînements de combat au sol et les cours de pieds-poings. Durant cette période, je m’entraînais un jour en MMA et un jour en Aïkido, de 2002 à 2010. Cependant, il me manquait quelque chose, et j'ai fini par arrêter le MMA. J’ai repris les entraînements pendant la période du COVID. Grâce à ma carte professionnelle, j’ai pu continuer à m’entraîner dans une salle où j’ai rencontré un pratiquant de Jiu-Jitsu Brésilien et de Grappling. Cela m'a permis de découvrir une nouvelle dimension du combat. L’entraînement est devenu beaucoup plus sérieux, presque personnalisé, avec un accent sur la relaxation et la détente tout en restant très physique. Depuis, je pratique le Jiu-Jitsu Brésilien deux à trois fois par semaine, en complément de l’Aïkido et du renforcement musculaire, qui reste indispensable. Aujourd’hui, je suis à la retraite, après avoir été instituteur et formateur. Même quand je travaillais, j’arrivais à m’entraîner beaucoup, me levant parfois dès 5h du matin pour aller courir ou m'entraîner. Mon père et Maître Tamura étaient mes modèles … et le sont encore. Il faut se rappeler que Maître Tamura, même lorsqu’il souffrait, continuait à s'entraîner et à faire des chutes malgré la douleur. J'ai adopté cet état d'esprit, et il m’accompagne encore aujourd'hui.

 

Qu’est-ce que ces disciplines vous ont apporté par rapport à l’Aïkido, et inversement, que vous a apporté l’Aïkido dans ces disciplines ?

Ce qui m’a le plus marqué, c’est l’importance du relâchement musculaire. Je pensais être relâché avant, mais depuis que je pratique le Ju-Jitsu Brésilien, j'ai atteint un niveau de détente beaucoup plus profond. Cela a transformé ma pratique de l’Aïkido. Je me concentre désormais moins sur la réalisation parfaite de la technique et davantage sur la manière de l’exécuter, en essayant d’être pleinement dans l’instant présent, dans le chemin plutôt que dans l'accomplissement final. Le Ju-Jitsu m’a appris à ne pas anticiper les mouvements de l'autre, mais plutôt à rester connecté avec lui, à ressentir ses intentions et donc à m'adapter en temps réel. C'est quelque chose que j’aurais dû comprendre avec l’Aïkido, mais c’est finalement le Ju-Jitsu qui me l’a fait réaliser de manière claire. De plus, j'ai appris à dissocier chaque partie de mon corps, ce qui m’a permis de progresser et de comprendre des aspects que je n’avais pas saisis auparavant. Aujourd’hui, je fais le chemin inverse : j'explore comment l’Aïkido peut m’aider dans ma pratique du Ju-Jitsu. Par exemple, j’utilise des principes de l’Aïkido, comme le placement et la respiration. Le Ju-Jitsu, avec son aspect compétitif, m’apporte aussi des challenges qui me poussent à me dépasser, même si cela implique parfois des déceptions. Mais cela il faut les accepter. Grâce à mes expériences et à mes lectures, j'ai aussi changé ma perception de l'erreur. Je ne me focalise plus sur les erreurs, j’essaie de les oublier pour continuer à avancer. C'est ce que je tente de transmettre sur le tatami : même si ce que l'on fait n'est pas parfait, tant que l'on bouge et que l'on se sort de la situation, cela devient correct.

 

Vous avez pratiqué différentes disciplines, qu’est-ce que l’efficacité pour vous ?

Pour moi, l’efficacité commence par la posture. Étonnamment, c’est dans l’attitude même d’éviter le combat que réside l’efficacité. Avoir une posture adéquate peut dissuader l’adversaire et éviter l'affrontement, ce qui est déjà une forme d’efficacité en soi. L’efficacité, c’est aussi terminer un combat le plus rapidement possible, et pour cela, la posture est essentielle. L’Aïkido incarne parfaitement cette idée. Il ne s’agit pas seulement de réagir à une agression, mais de transformer la relation avec l’autre pour qu’elle ne soit pas purement agressive. Je pense à l’exemple de Maître Tamura, qui, lors d'une attaque au couteau alors qu’il était à table, était parfaitement relâché tout en ayant réagi immédiatement. Cette capacité à être à la fois détendu et réactif est ce qui rend l’Aïkido véritablement efficace. C'est cet aspect du travail en Aïkido qui m'intéresse le plus.

 

 

Comment expliquer la baisse actuelle des pratiquants d’Aïkido et que pouvons-nous faire pour l’endiguer ?

Je pense que nous nous concentrons peut-être trop sur la technique pure, au détriment d'une ouverture vers d'autres aspects essentiels de la pratique. Par exemple, avec les enfants, il ne suffit pas de se focaliser uniquement sur la technique. Ce n'est pas en proposant des jeux que l'on va les accrocher, mais en introduisant des éléments qui construisent leur posture, notamment à travers des rituels. En Occident, nous essayons de développer ces rituels, car ils manquent dans notre société actuelle. Nous devons réintroduire quelque chose de respectueux, qui aide à structurer la pratique et les pratiquants. L’Aïkido est une discipline très physique, et il est important de le montrer clairement. Par exemple, avec mes adolescents, les 20 premières minutes du cours sont dédiées à l’entraînement physique, y compris les chutes, qui en font partie. Ce qu’ils apprécient également dans l’Aïkido, c’est ce cadre protégé où l’on salue en entrant, où l’on se salue à genoux, où règne le calme. Ce respect des rituels manque dans notre société, et je crois que c’est un aspect que nous devrions développer davantage. L’Aïkido doit devenir un système d’éducation complet, intégrant des dimensions mentales, physiques, relationnelles et sociologiques. Actuellement, nous n'osons pas trop mettre en avant l’aspect physique de l’Aïkido, de peur d’être associés à l’idée de force. Pourtant, l’aspect physique et les rituels doivent fonctionner de concert. Si nous négligeons l’un au profit de l’autre, nous risquons de déséquilibrer la pratique. Par exemple, si l’on se concentre uniquement sur les jeux physiques, on perd de vue le côté rituel. À l’inverse, si l’on insiste trop sur l’imitation silencieuse du professeur, on peut créer une atmosphère trop rigide, en contradiction avec l’idée que le dojo est un espace où l’on apprend non seulement des techniques, mais aussi à gérer les relations humaines et les problèmes sociaux. Le dojo devrait être un espace protégé mieux formalisé et ouvert pour en faire bénéficier tout le monde, mais je pense que nous ne le développons pas assez. Si l’on compare avec d'autres disciplines, comme le MMA, on remarque que ces salles dégagent également une énergie particulière. Les pratiquants ne se contentent pas de combattre, ils s'entraînent et s’entraident intensément avec un fort accent sur la préparation physique, comme on le voit également dans des disciplines en plein essor comme le Krav Maga. Ils passent beaucoup de temps à renforcer le corps de leurs élèves avant de passer à la technique. Ils travaillent les frappes également, toutes ces choses que nous faisions avant et que nous avons un peu abandonné, il me semble.

 

Vous êtes récemment allé au Japon pour recevoir votre 7ème dan de la part du Doshu. Pouvez-vous nous en parler ?

Ce voyage au Japon a été une expérience inoubliable. Nous étions un petit groupe composé de Jean-Paul Moine, mon premier professeur, Gilles Ailloud, Robert Le Vourch et moi-même. Robert Dalessandro, Didier Allouis, Michel Prouvèze et Michel Gillet nous ont accompagnés. Nous avons été chaleureusement accueillis par le Doshu, Moriteru Ueshiba. La cérémonie de remise des diplômes s'est déroulée dans le bureau d'O Sensei, avec toute la solennité et le Reïshiki que l'on peut attendre d'un tel moment. Après la cérémonie officielle, nous avons partagé un moment convivial où le Doshu nous a offert du saké. Ce fut un instant très agréable. Ce qui m'a particulièrement marqué, c'est la manière de pratiquer à l'Aikikai. Pour moi, ce fut une découverte. Là-bas, la pratique est très centrée sur le Keiko, avec un travail basique mais profondément enrichissant. Les cours étaient simples, mais j'y ai beaucoup appris. Nous avons également échangé avec le Doshu sur sa vision de l'enseignement et de la pratique. Pour lui, tout repose sur le Keiko. Sur le tatami, le silence règne ; on choisit un partenaire et on travaille avec lui pendant une heure, sans dire un mot, sans s'arrêter, peu importe le niveau. Pas de fioritures, juste du travail pur. Cette approche a influencé le thème fédéral que nous avons choisi pour cette année. J'ai aussi eu l'opportunité de me rendre au dojo de Yoko Okamoto Shihan. Dans les deux dojos que j'ai visités, j'ai retrouvé cette même approche, et chaque visite a été une belle découverte. Cela faisait 40 ans que je n'avais pas mis les pieds au Japon, et ce séjour a été extrêmement enrichissant. J'ai l'intention d'y retourner pour explorer d'autres dojos. Cette méthode de travail correspond parfaitement à ma pédagogie : travailler avec un partenaire, aller au bout de ce que l'on peut faire tout en restant relâché, sans chercher à dominer l'autre. Cela m'a donné de nouvelles idées et a renforcé mes convictions dans mon enseignement. Enfin, j'ai participé à une conférence sur le management, où il était question de choisir ses collaborateurs, de passer du temps avec eux et de les encourager à vous remplacer. C'était amusant, car l'intervenant a conclu en évoquant les trois principes que j'avais mentionnés dans mon texte pour la remise du 7ème dan : apprendre, intégrer, et transmettre. Apprendre par soi-même, intégrer tout ce que l'on peut comme expérience, et rendre ce savoir aux élèves. C'est, selon moi, le grand cycle pédagogique.

 

Qu’est-ce qu’être un Shihan pour vous ?

Être un Shihan est une responsabilité délicate à assumer. Il ne s'agit pas seulement de porter un titre, mais de s'approprier ce rôle pour mieux le transmettre. Pour moi, être un Shihan, c'est avant tout une question d'alignement entre ce que l'on dit et ce que l'on fait. Il ne s'agit pas seulement de porter un titre, mais de s'assurer que nos actions reflètent véritablement ce que ce titre représente. Le paraître doit correspondre à l'être. C'est une responsabilité délicate à assumer, et c'est pourquoi je suis toujours dans une dynamique d'apprentissage pour mieux transmettre ensuite. J'ai eu la chance d'acquérir beaucoup de connaissances et de rencontrer de nombreuses personnes au cours de ma vie. Pourtant, je continue d'apprendre pour pouvoir, à mon tour, redonner ce que j'ai reçu, que ce soit par mon corps ou mes enseignements. Pour moi, le rôle de Shihan se résume en trois mots essentiels : apprendre, prendre, et rendre. Apprendre tout ce que l'on peut en multipliant les sources, prendre chez les autres et prendre et emmagasiner le maximum de repères, de sensations en pleine conscience, et enfin rendre, offrir aux autres ce que l'on a acquis. C'est cet équilibre entre ces trois aspects qui, à mes yeux, définit ce que signifie être un Shihan.

 

Comment, en tant que Shihan de la FFAB, assurer la transmission de l’héritage de Tamura Sensei ? 

Nous avons de nombreux échanges au sein de la Fédération, et bien que nos parcours et nos approches de l'Aïkido soient variés, nous sommes tous unis par un point commun : nous avons tous appris de la même source, Maître Tamura. Grâce à lui, nous partageons les mêmes fondations, les mêmes bases de travail que nous pratiquons chaque jour. C'est la force de notre Fédération : malgré nos différences de gabarits, d'expériences, de façons d'apprendre et de transmettre, nous sommes tous sur la même longueur d'onde. Grâce à l'enseignement de Maître Tamura, nous disposons d'une trame commune qui guide notre travail. Chacun de nous apporte ses idées et écoute celles des autres, ce qui crée des échanges très enrichissants. Cette cohésion et cette harmonie au sein de notre Fédération sont largement dues au travail de Michel Gillet, notre Président, et de Didier Allouis, qui ont su rassembler et fédérer tous les membres autour de cet héritage commun.

 

 

Pouvez-vous nous parler de votre approche de l’enseignement ?

J'aime proposer des cours qui se distinguent par une approche globale axée sur la « pédagogie technique » traditionnelle. Je parle un peu de technique, mais je préfère que mes élèves l'explorent à travers 2 ou 3 techniques différentes, que nous enchaînons pendant une période de Keiko intensif. Mon objectif est de créer une expérience globale où chacun peut travailler en fonction de ses propres sensations, sans insister sur les détails comme la position exacte des pieds, par exemple. Cette approche globale, que j'ai d'abord appliquée avec les enfants, a ensuite été reprise avec les adolescents, et désormais, je la mets en œuvre avec les adultes. Je me concentre beaucoup sur les fondations, c’est un outil pédagogique intéressant. Je prépare chaque cours par écrit, que ce soit pour un stage ou pour mon club. J'y note ce que je veux faire, ce qui fonctionne bien, et ce qui fonctionne moins bien. Si quelque chose ne marche pas, je le note et j’essaie de l'améliorer pour la prochaine fois, en réfléchissant à ce que je pourrais changer ou ajuster. C'est une habitude que j'ai conservée de mon temps en tant qu'enseignant, et c'est ainsi que je fonctionne encore aujourd'hui. Tout ce que j'expérimente en club, je le retravaille lors des stages. Si une approche fonctionne, tant mieux ; sinon, je la reprends. En notant chaque session, je sais ce que j'ai fait lors du stage précédent, et cela me permet de proposer quelque chose de différent à chaque fois, même si je reste sur les mêmes techniques et principes. Pour moi, former est un exercice structurant et stimulant ; c'est ce qui me permet de continuer à progresser, sans quoi je pense que je m'ennuierais.

 

Quelle place donnez-vous aux armes dans votre enseignement ?

Chaque matin, je pratique les Suburis avec le Jo et le Ken, en complément de mes étirements. C'est un rituel que je n'ai jamais abandonné. Pendant la pandémie de COVID-19, mes élèves ont exprimé le désir de continuer à travailler les armes. Pour répondre à cette demande, j'ai créé des vidéos qui leur permettaient de pratiquer chez eux en incluant des Suburis, des Katas et d’autres exercices. Au sein de notre club, nous avons également développé nos propres Katas en interne. En me basant sur les Katas de Jo, je fais souvent le lien avec des techniques à mains nues créant ainsi une continuité dans l'apprentissage. Depuis trois ans, à l'Ecole Nationale d'Aïkido (ENA) au dojo Shumeikan, j'anime un cours d'une heure et demie, suivi d'une session dédiée aux armes menées par Jean Llaveria. Ce travail s'inspire directement de ce que Maître Tamura nous enseignait dans les années 70. A l'époque, il était strict dans son approche. Il nous disait : « Le jour où vous saurez couper avec votre Ken et piqué avec un Jo, je vous montrerai autre chose ». Par le passé, il nous enseignait des Katas de Ken, de Jo, d’iaï, ainsi que des Suburis. Aujourd'hui, je transmets cet enseignement lors de chaque stage que je dirige. Nous travaillons cinq Katas au Jo avec trois variantes et cinq au Ken avec deux variantes. Cela se rapproche du travail de Maître Saito, une influence que Maître Tamura avait également ressentie. Maître Chiba a suivi une voie similaire en adaptant ces techniques à sa propre pratique. Le travail avec le sabre est exigeant : il ne permet aucune tricherie. Il impose de rester fidèle à son propre corps et chaque erreur est une leçon. C'est pourquoi, je consacre personnellement beaucoup de temps à l'entraînement aux armes.

 

Pouvez-vous développer le lien entre la pratique à mains nues et celle des armes ?

Pour ma part, je réserve la pratique du Jo au Taï Sabaki. Pour moi, le Jo, c’est la mobilité. Je m'entraîne avec le Jo en extérieur, que ce soit sûr de l'herbe, des cailloux, du sable, ou même sur des surfaces glissantes. L'idée est que ces déplacements variés me rendent plus à l'aise sur le tapis. Ainsi, la première connexion entre la pratique des armes et celle à mains nues se trouve dans cette mobilité. Le second lien concerne la finition des techniques. Le Ken, avec son aspect tranchant, exige que les mouvements se concluent de manière décisive. J'utilise donc certains déplacements associés au Ken pour perfectionner la fin des techniques. Par exemple, je travaille régulièrement les huit katas de Maître Chiba pour affiner ma pratique de Shiho Nage. Cela m'aide à obtenir une posture et des appuis corrects à la fin du mouvement. En ce qui concerne le Tanto, je l'utilise moins fréquemment, peut-être une fois par mois tout au plus. Je privilégie le travail sur Yokomen plutôt que Shomen. Cette année, j'ai aussi intégré davantage d'exercices sur Ushiro. Cependant, je dois avouer que j'ai moins d'affinités avec le Tanto.

 

Vous êtes l’un des auteurs du livre Aïkido : Techniques d’Armes. Pouvez-vous nous en parler ?

Au départ, le projet de ce livre devait être une initiative fédérale, mais après plusieurs années sans avancée, nous avons, avec deux autres CEN et deux autres enseignants provençaux de qualité, décidé de le concrétiser nous-mêmes. Maître Tamura a soutenu notre démarche, mais il a apporté des corrections importantes, en particulier sur le Ken. Nous avons pris en compte ses remarques et avons intégré ses corrections pour améliorer le contenu du livre. Il a également ajusté la section sur le Jo, notamment en ce qui concerne la garde. Une anecdote marquante illustre bien son approche : lors d'une réunion chez lui avec l'équipe d'auteurs, Maître Tamura m'a demandé de prendre une garde avec le Jo devant eux. Il a alors dit aux autres professeurs présents : « Vous voyez, ce n'est pas correct. » Je lui ai demandé de nous montrer la bonne posture. Il a alors saisi un Jo et s’est mis en garde. Instantanément, les quatre autres enseignants, qui étaient à une certaine distance, ont reculé de surprise. Maître Tamura a conclu : « Voilà, ça c’est une véritable garde de Jo ! » Cette démonstration a été très révélatrice et a profondément marqué notre approche de la pratique aux armes.

 

 

Cette année, nous célébrons la douzième édition du stage de pentecôte à Lodève. Comment a-t-il commencé ?

Eric Lecoutre occupait le poste de Président du CID en Flandre-Artois, où je suis intervenu à plusieurs reprises. Lorsqu'il s'est installé ici à Lodève, il m'a demandé si je voulais venir faire un stage un week-end. Nous avions opté pour la pentecôte et tout s'est tout de suite très bien déroulé. J'étais venu en compagnie de plusieurs élèves, ce qui avait créé une atmosphère plaisante. Et maintenant, cela fait douze ans, et cela se déroule toujours aussi bien. Personnellement, j'ai l'impression d'être chez moi, d'être dans mon club car nous avons établi des repères. L'atmosphère est conviviale. Il y a de nouvelles personnes à chaque édition, les pratiquants sont souriants, sympathiques, c'est très agréable car ils se fondent automatiquement dans « le moule ».

 

Vous êtes un professeur de grande expérience, qu’est-ce qui définit un bon enseignant ?

Un bon enseignant se distingue souvent par la manière dont il se déplace pendant le cours. Il ne reste pas figé devant le Kamiza, mais circule parmi les élèves, les observe et les guide activement. Pour moi, un bon professeur est avant tout quelqu’un qui montre les techniques de manière claire et correcte, tout en laissant ses élèves expérimenter et pratiquer par eux-mêmes. Il est également important qu'il encourage ses élèves à participer à des stages et à approfondir leur pratique en dehors des cours réguliers.

 

Quels conseils donneriez-vous aux pratiquants et aux enseignants pour améliorer leur progression ?

Pour progresser, il est essentiel d’explorer et d’expérimenter. Rencontrer différents enseignants et pratiquer avec divers partenaires est crucial. Il ne faut pas se limiter à ses quelques meilleurs élèves ou à ses enseignants préférés. Le véritable progrès se fait à travers le corps : il est important d’ouvrir les yeux, d’observer et de s'exposer à des méthodes différentes, même si elles ne sont pas immédiatement attrayantes. Il est bénéfique d’aller au-delà de ses préférences personnelles et d'expérimenter des approches diverses. Même si certaines pratiques ou enseignants ne nous séduisent pas au premier abord, il est important de les essayer et de s’en approprier les éléments. L'esprit trie trop rapidement mais le corps absorbe et intègre les expériences. Avec le temps, nous conservons et utilisons des aspects de ces diverses expériences, souvent de manière inconsciente. Cette approche enrichit notre pratique et favorise une progression continue. Cela a été particulièrement évident lors de mon expérience récente à l’Aïkikai, où chaque partenaire acceptait les tentatives de l'autre, favorisant ainsi un véritable échange. Cette interaction est essentielle pour progresser ensemble, incarnant parfaitement l’esprit de Aïte : la « main d’en face » qui nous pousse à évoluer.

 

Que peut-on vous souhaitez pour l’avenir ?

Que je puisse continuez à chuter longtemps. J’espère aussi rencontrer des personnes qui m’aideront à progresser davantage. Je suis convaincu qu’il me reste encore une marge de progression, il faut que je continue !

Merci Sensei pour le temps que vous nous avez accordé.

 

@ Crédit photos : Sébastien Rollandin

 

 

 

 

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