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Mitsunari Kanai
Enfance et premières influences
Mitsunari Kanai (金井満成), benjamin d’une fratrie de trois enfants, voit le jour le 15 avril 1939 en Mandchourie, alors sous occupation japonaise. Son père, instructeur de Kendo, sert dans la police militaire du chemin de fer de Mandchourie. À la fin de la guerre, en 1945, la colonie japonaise s’effondre et la famille est rapatriée au Japon à bord d’un navire américain en 1948. A leur retour au pays, les Kanai s’installent dans la préfecture d’Ibaraki, auprès de l’oncle paternel. Deux ans plus tard, en 1950, ils rejoignent Tokyo, où le père de Mitsunari entre dans l’administration postale tout en enseignant parallèlement la calligraphie aux enfants du quartier. Aux côtés de son ami d’enfance Kazuo Chiba, Mitsunari nourrit très tôt une passion pour les arts martiaux. Il débute le Judo au club de Rokugo. Adolescent, il découvre l’Aïkido par hasard, lors d’une sortie au parc d’attractions de Tamagawa : il aperçoit à la télévision Morihei Ueshiba exécuter des mouvements de ken, avec Nobuyoshi Tamura comme partenaire. Le jeune garçon est marqué par la légèreté des chutes sur un sol dur.
L’Aïkido un choix de vie
Après avoir achevé ses études secondaires au lycée Omori, Mitsunari décroche un emploi dans une entreprise de machines à écrire. En parallèle, il suit des cours du soir, s’initiant à l’allemand, par goût pour la philosophie, ainsi qu’au japonais ancien, afin de pouvoir lire des documents historiques sur les arts martiaux. Son emploi du temps devient rapidement trop chargé, l’amenant à réfléchir sur ce qu’il souhaite véritablement faire de sa vie. Son choix s’oriente alors vers le Budo, la voie martiale traditionnelle japonaise. S’il pratique le Judo, il n’y trouve pas une satisfaction profonde. La lecture du premier ouvrage de Kisshomaru Ueshiba, fils du Fondateur de l’Aïkido, lui apporte une révélation : l’Aïkido pourrait bien incarner le Budo qu’il recherche. Convaincu, il décide de s’y consacrer entièrement. Plusieurs de ses connaissances et aînés en Judo, dont son ami Kazuo Chiba, s’entraînent déjà auprès de la famille Ueshiba. Le jeune homme démissionne alors de son poste, fait ses bagages et se présente au Hombu Dojo, résolu à devenir uchi deshi (élève interne). D’abord, Morihei Ueshiba lui oppose un refus, invoquant les difficultés matérielles du dojo, et l’invite à rentrer chez lui. Mitsunari obéit, mais persévère : chaque matin, il revient pour nettoyer le dojo avant même que les autres élèves ne soient réveillés. Lorsque l’argent pour le train vient à manquer, il s’y rend à pied. Face à une telle détermination, Ō Sensei finit par l’accepter. En 1959, Mitsunari Kanai fait donc ses premiers pas comme élève interne, aux côtés de son ami Kazuo Chiba et de sempai tels que Nobuyoshi Tamura, Yoshimitsu Yamada ou encore Seiichi Sugano
Instructeur au Hombu et débuts du Iaïdo
Ses débuts sont difficiles, il découvre une vie austère rythmée par les tâches ménagères, les entraînements quotidiens et l’accompagnement du Fondateur lors de ses déplacements (otomo). Sur le plan technique, l’apprentissage est rude. Bien qu’il soit convaincu par l’enseignement d’Ō Sensei, Mitsunari reste marqué par ses réflexes de judoka, en particulier dans l’exécution des ukemi. Chaque jour, il songe à abandonner et se répète : « seulement aujourd’hui, mais demain j’arrête. » Mais grâce à sa ténacité, il surmonte ces épreuves et progresse pas à pas. Au début des années 1960, il devient instructeur à plein temps au Hombu Dojo de Tokyo, ainsi qu’à Nagoya. Parallèlement, sa passion pour le sabre s’affirme. En accueillant et en servant les maîtres renommés de Kendo et d’Iaïdo, Jun’ichi Haga et Kiyoshi Nakakura, invités d’Ō Sensei, il a l’occasion d’entendre de nombreuses histoires sur le Budo et le sabre. Ces derniers l’initient au Iaïdo de l’école Musō Shinden Ryū. Mitsunari s’entraîne souvent seul le soir, une fois les passants disparus et le dojo silencieux, il pratique le sabre ou le bokken dans un espace étroit situé entre le dojo et la maison voisine. Il consacre ainsi ses rares moments libres, souvent de nuit, après ses obligations liées à l’Aïkido, à perfectionner sa maîtrise du iaïdo.
Départ pour les États-Unis
Son destin bascule en 1965. Au retour d’une tournée sur la côte Est des États-Unis, le Doshu Kisshomaru Ueshiba reçoit une lettre du président du club d’Aïkido de Boston, Ray Dobson, frère cadet de Terry Dobson, disciple d’Ō Sensei. Dans cette lettre, Ray sollicite l’envoi d’un instructeur en échange d’un billet d’avion, d’un logement et d’un salaire. Lors de sa précédente visite sur la côte est américaine, le Doshu avait constaté l’existence d’un petit dojo à Boston animé par de nombreux jeunes enthousiastes. Convaincu du potentiel de ce groupe, il accepte et décide d’envoyer un instructeur. Le choix se porte sur Mitsunari Kanai, alors âgé de 27 ans et titulaire du 4ème dan. Il est officiellement désigné représentant de l’Aïkikaï Sō Hombu à Boston. Mais à son arrivée, la réalité se révèle bien différente des promesses : au lieu de la soixantaine de pratiquants annoncée, seuls six ou sept membres l’attendent. L’appartement promis n’est qu’une pièce au second étage d’une usine, et aucun salaire n’est versé car le dojo ne dispose pas de fonds.
Des débuts difficiles
Malgré l’accueil et le soutien de Yoshimitsu Yamada, installé à New York depuis 1964, les débuts de Kanai Sensei à Boston sont marqués par de grandes épreuves, tant financières que culturelles. Sans salaire, il doit utiliser l’argent de son billet retour pour acheter de la nourriture, se retrouvant coincé, incapable de rentrer au Japon. Ne parlant pas anglais, il ne comprend pas pourquoi il ne perçoit rien, alors même que Yamada Sensei a fixé son salaire à 50 dollars par semaine, qu’il enseigne quotidiennement et donne chaque week-end des cours particuliers à une famille du Connecticut. Sa situation commence à s’éclaircir lorsqu’un étudiant japonais, parlant parfaitement anglais, rejoint le dojo. Grâce à son aide, Kanai Sensei convoque une réunion du conseil d’administration et découvre alors la vérité : le vice-président par intérim, Fred Newcomb, avait remplacé Ray Dobson ; les six ou sept « pratiquants » présents ne sont autres que les membres du conseil, qui ont voté leur propre exemption de cotisation ; enfin, lors de la visite du Doshu, Fred avait fait venir soixante de ses camarades d’université pour donner l’illusion d’un dojo prospère. Furieux de cette supercherie, il décide de renvoyer tout le conseil d’administration. Ce geste marque un tournant. Progressivement, de nouveaux élèves commencent à fréquenter le dojo et son avenir s’éclaire. Peu après, une femme, mariée à un instructeur de Judo, le recommande au Wellesley College, qui cherche un enseignant pour son programme d’autodéfense destiné aux étudiantes. Kanai Sensei décroche enfin son premier véritable poste rémunéré et son premier salaire.
Fondation du New England Aïkikaï
Déterminé à implanter l’Aïkido à Boston, Kanai Sensei fonde en novembre 1966 le New England Aikikai dans le quartier de Chinatown. Après environ un an, il déménage le dojo à Central Square, à Cambridge. À l’origine, son plan est de rester trois années aux États-Unis avant de rentrer au Japon. Son rêve est de faire découvrir Ō Sensei au peuple américain. Mais la disparition du Fondateur, en avril 1969, met un terme à ce projet. Les premières années restent fragiles : le dojo compte peu d’élèves et l’Aïkido demeure largement méconnu à Boston. Avec un anglais rudimentaire, Kanai Sensei doit convaincre, par la pratique, des partenaires souvent beaucoup plus grands que lui de l’efficacité de cet art martial. Malgré les privations et des conditions de vie difficiles, il refuse les propositions d’enseignement venant d’autres écoles, pourtant assorties de logement et de salaire. Fidèle à ses principes, il pose des standards exigeants : au cours de ses onze premières années à Boston, il ne décerne que neuf ceintures noires. Son obstination finit par porter ses fruits. En 1979, le dojo déménage à Porter Square, toujours à Cambridge, marquant un tournant décisif. Le nombre de pratiquants atteint alors une trentaine. Les élèves fidèles suivent leur maître, et de nouveaux pratiquants se joignent à eux. Entre 1980 et 1985, le New England Aikikai connaît une période de forte croissance et atteint rapidement environ 120 membres, devenant l’un des dojos d’Aïkido les plus dynamiques de la côte Est.
Pionnier de l’Aïkido Nord-Américain
Aux côtés de Yoshimitsu Yamada à New York et, plus tard, d’Akira Tohei arrivé à Chicago en 1972, Kanai Sensei joue un rôle majeur dans la diffusion rapide de l’Aïkido sur la côte Est des États-Unis. En 1976, une nouvelle structure voit le jour : la Fédération d’Aïkido des États-Unis (USAF), dont le siège est établi au New York Aikikai de maître Yamada. Cette fédération, fondée par ces shihans, vise à mettre en place une organisation administrative commune et à coordonner l’enseignement de l’Aïkido à travers le pays. Maître Kanai est naturellement nommé directeur technique pour la région Est, ce qui le place à la tête de l’enseignement de milliers de pratiquants. Dès le début des années 1970, son dojo, le New England Aikikai, organise un stage d’été annuel d’une semaine, réunissant les shihans de l’USAF ainsi que des instructeurs invités du Hombu Dojo de Tokyo. Son influence dépasse également les frontières américaines : il enseigne régulièrement au Canada aux côtés de Yamada Sensei et de Yukio Kawahara, contribuant activement à la fondation de la Canadian Aikido Federation (CAF).
Dernières années
Sollicité à l’étranger, Kanai Shihan anime de nombreux séminaires en Europe et en Amérique du Sud, notamment au Venezuela et en Argentine. En 1994, il publie Technical Aikido, un manuscrit accompagné d’une vidéo, dans lesquels il expose en détail sa compréhension du Budo. Malgré de sérieux problèmes cardiaques et une opération, il poursuit son enseignement avec la même énergie et le même engagement. Le 28 mars 2004, alors qu’il participe à un stage à Toronto, il est emporté par une crise cardiaque. Ses élèves le découvrent inanimé dans sa chambre d’hôtel au matin. Il avait 64 ans. Kanai Sensei laisse derrière lui son épouse, Sharon Henn Kanai ainsi que leurs deux enfants, Yuki et Misha.
Un héritage multiple
Shihan 8ᵉ dan, Kanai Sensei était reconnu pour son Aïkido sobre et profondément martial. Son expression, souvent minimaliste — en partie à cause de son anglais rudimentaire — contrastait avec l’intensité et la précision de sa technique. Souvent décrit comme un « samouraï vivant », il associait une bienveillance envers les autres à une discipline personnelle rigoureuse et un engagement total dans l’Aïkido en tant que Budo. Doté d’un sens artistique raffiné, il exprimait sa vision de la beauté aussi bien dans la décoration de son dojo et de son bureau de style japonais que dans ses créations artisanales : saya (fourreaux) et ornements de sabre réalisés à la main. Passionné par l’art du sabre, il étudia les anciens documents relatifs aux traditions du Iaïdo et collectionna, au fil des années, de nombreuses lames et tsuba. Reconnu en tant qu’expert, il fut régulièrement consulté par le Musée des Beaux-Arts de Boston pour leurs collections de sabres japonais. Calligraphe accompli, Kanai Sensei incarnait pleinement l’union entre culture martiale et culture artistique. Membre fondateur de l’USAF, de la CAF et du North American Shihankai, il demeure une figure incontournable de l’histoire de l’Aïkido nord-américain. Son enseignement, à la croisée de l’Aïkido, du Iaïdo et de l’art du sabre, continue d’inspirer des milliers de pratiquants. Nombre de ses disciples sont aujourd’hui gradés dans les deux disciplines et comptent parmi les instructeurs de référence en Amérique du Nord : Sharon Henn Kanai, Claude Berthiaume Shihan, David Farrell Shihan, Robert Zimmermann Shihan, David Halprin Shihan, Richard Stroud Shihan, Barbara Britton Shihan, Ishu Ishiyama Shihan, Laura Jacobs Pavlick Shihan, Andy Demko Shihan, Paul Keelan, Sioux Hall, Kei Izawa Shihan, Massimo Di Villadorata Shihan, Ariff Mehter Shihan, et bien d’autres. En 38 années, plus de 6 000 élèves se sont entraînés dans son dojo, et des milliers d’autres l’ont suivi lors de séminaires à travers le monde. En 2010, ses élèves ont fondé la Kiyokaize Iaïdo Federation afin de transmettre et préserver son enseignement.
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