Biographies des Maîtres
Katsuzo NISHI, l’un des pères de l'Aïki-Taïso
Cette biographie est parue dans le magazine Dragon Spécial Aïkido n°26 de décembre 2019.
Le « docteur » Katsuzo Nishi est célèbre pour avoir fondé et diffusé sa propre méthode de santé baptisée « Nishi Shiki ». Cette théorie unique, basée sur sa profonde compréhension de la physiologie humaine, constituée d’exercices simples et efficaces, dénombrait des dizaines de milliers d’adeptes au Japon. Intellectuel autodidacte, théoricien de la santé et ingénieur de renom, il fut l’auteur de nombreux ouvrages traduits en plusieurs langues.
Homme populaire et influent, il fut un soutien de poids pour Morihei Ueshiba et son art naissant. Partageant une longue amitié avec le fondateur, Katsuzo Nishi a fortement contribué à la création des exercices que l’on qualifie aujourd’hui d’Aïki-Taïso. Membre des dirigeants du Kobukaï puis de l’Aïkikaï, son réseau d’école « Nishikaï » a joué un rôle déterminant dans la diffusion de l’Aïkido à Hawaï, par Koichi Tohei, au début des années cinquante.
Katsuzo Nishi est né le 15 mars 1884 dans la préfecture de Kanagawa.
Troisième fils originaire d’une famille de classe moyenne, le jeune Katsuzo vit une enfance confortable.
Une santé fragile
De faible constitution, Katsuzo souffre de problèmes intestinaux et pulmonaires dès son enfance. En raison de la circonférence insuffisante de sa poitrine, il se voit refuser l’examen d’entrée au collège. Ne pouvant suivre un cursus scolaire normal, Katsuzo est embauché dans un magasin tenu par un membre de sa famille à Yokohama.
Le jeune garçon travaille aussi dur que son corps lui permet et s’alimente avec la nourriture la plus riche possible. Malgré tous ses efforts, son état de santé général se dégrade vers l’âge de treize ans.
Souffrant de dyspepsie, Katsuzo et ses parents consultent plusieurs médecins sans succès. Le professeur Masayoshi Sasaki, très populaire à cette époque, le déclare même perdu et prédit à ses parents qu’il ne dépassera pas l’âge de vingt ans.
Suite à ce diagnostic pessimiste, ses parents décident de l’envoyer à Kamakura, dans un monastère bouddhiste pour améliorer sa santé. Le jeune Nishi y passe trois années à apprendre différentes techniques de méditation tout en étudiant en parallèle une école de sabre.
Son état de santé reste stationnaire durant cette période, jusqu’à ce que son système digestif soit atteint par le trop grand nombre de médicaments prescrits auparavant. Katsuzo se retrouve de plus en plus amaigri et voit sa vitalité diminuer malgré le changement de traitement médical. Pas un hiver ne se passe sans qu’il souffre de catarrhe de la gorge ou d’amygdalite.
Chercheur autodidacte et polyglotte
Prêt à tout essayer pour améliorer sa santé, Katsuzo consulte de très nombreux ouvrages médicaux contemporains ainsi que d’anciens traités de médecine orientale et européenne. Faisant preuve d’une grande détermination et de facilités linguistiques, le jeune garçon âgé de seize ans, apprend plusieurs langues de façon autodidacte. Convaincu que la science médicale de l’époque ne peut guérir ses maux, il entreprend de manière indépendante d’étudier et de mettre en pratique environ trois cent remèdes populaires et méthodes de santé, traditionnelles et modernes, orientales et occidentales.
Ses recherches lui permettent finalement de se rétablir. Agé d’une vingtaine d’année, le jeune Katsuzo a mis au point sa propre méthode de santé.
Ingénieur en génie civil
Après quelques années de relative tranquillité au niveau de sa santé, Katsuzo désire reprendre ses études. Souhaitant suivre une formation professionnelle adaptée à sa fragile condition, il se tourne vers une école technique d’ingénieur en 1904.
Après l’obtention de son diplôme, Katsuzo décroche un emploi d’ingénieur dans la société minière Mitsui. Il est ensuite envoyé dans la préfecture de Fukuoka sur le site de Miike, la plus grande mine de charbon du pays.
Après un intermède d’un an et quatre mois à Tokyo, dû à son service militaire obligatoire, Katsuzo est transféré à la mine de Yamanobe. En février 1907, il prend pour épouse Saeko.
En avril 1909, il intègre la toute nouvelle école des mines Meiji de Tobata. Après quatre années de formation au sein de cet institut technologique, Katsuzo est missionné pour travailler dans la mine de charbon de Matsushima. Dans cette mine située dans une baie, il travaille sur les techniques d’arpentage des fonds marins et d’excavation par injection de ciment.
Nishi effectue son premier voyage aux U.S.A. en aout 1916. Désireux de poursuivre ses recherches en génie civil, il part vivre sur la côte Est des Etats-Unis en 1918. Il intègre le département des sciences minières de la prestigieuse université privée Columbia de New York.
Père du métro de Tokyo
A son retour au Japon en janvier 1919, il est nommé responsable en chef de la mine de charbon de Fukuoka.
Sa formation en occident lui a permis d’approfondir ses connaissances dans l’ingénierie des tunnels et des ponts mais également dans le trafic urbain en Europe et aux Etats-Unis.
Katsuzo présente les dernières avancées en méthode de construction civile à la mairie de Tokyo. Séduit par ses éléments novateurs, les élus tokyoïtes le nomment ingénieur en chef du premier projet de voie ferrée souterraine du pays en février 1921.
Véritable pionnier technologique des chemins de fers surélevés, surnommé « le père du métro de Tokyo », Katsuzo Nishi dirige la conception de la ligne Ginza, jusqu’à son inauguration en 1927.
La méthode de santé Nishi
Katsuzo fait le choix de démissionner de son poste d’ingénieur à la mairie pour se consacrer à ses recherches sur la santé en septembre 1933.
Il fonde la société Nishi et en devient le président. Katsuzo publie sa propre méthode de santé qu’il nomme Western Health Act (loi sur la santé de l’ouest).
Fort de ses expériences scientifiques sur la dynamique du corps humain, sa méthode est le fruit de ses connaissances en mécanique et en physique approfondis durant sa formation d’ingénieur.
Abordant les causes de la maladie plutôt que leurs conséquences, Nishi met au point une méthode de renforcement globale de la santé où ses prescriptions couvrent plusieurs domaines tel que la nutrition, l’alimentation, l’exercice physique, la respiration, l’hygiène ou encore le sommeil.
Jouissant d’une solide réputation professionnelle, les théories originales et les exercices élaborés par le docteur Nishi rencontrent un succès immédiat à travers tout le pays.
Quatre éléments, six exercices
Pour lui, chaque être humain est un tétraèdre vivant, dont la santé dépend de quatre éléments fondamentaux : l’état et la fonctionnalité de la peau, la qualité de la nourriture, l’état et la fonctionnalité des membres et l’état psychologique.
Nishi est parti du postulat que la structure osseuse et le positionnement des organes internes de l'homme sont fondamentalement les mêmes que ceux des mammifères à quatre pattes (horizontal) mais que notre style de vie bipède (vertical) impose certaines contraintes structurelles à notre squelette. Ces dernières entraînant des problèmes tels que l'obstruction du flux de nourriture dans l'intestin (constipation) ainsi qu’une mauvaise circulation sanguine et lymphatique dans les vaisseaux des quatre membres.
Souhaitant compenser ces « défauts structurels », il met au point six exercices de base dans le but de redresser la colonne vertébrale (Heisho, Koshin et Kingyo Undo), activer les capillaires (Mokan Undo) et renforcer la santé générale (Gassho Gasseki Undo et Hifuku Undo).
Enfin, il encourage le régime végétarien, la consommation de légumes crus et la pratique du jeûne pour compléter sa thérapie intitulé « Nishi Shiki ».
La rencontre avec Morihei Ueshiba
Portant intérêt aux méthodes d’augmentation et de préservation du potentiel corporel, Katsuzo Nishi est naturellement attiré par les arts martiaux.
C’est par l’intermédiaire de Hakurei Kurihara, un membre de l’Omoto-Kyo, que Katsuzo Nishi entre en contact avec Morihei Ueshiba dans le milieu des années vingt.
Souffrant de problèmes gastriques devenus chroniques, Ueshiba sensei recherche son aide pour remédier à ses problèmes de santé.
Par la suite, un lien fort s’installe entre les deux hommes, Nishi étudiant directement auprès du fondateur son art, qu’il estime analogue à ses propres théories (respect des lois naturelles, position du triangle équilatéral…).
Premier ouvrage en anglais
Célèbre dans tout l’archipel nippon, le docteur Nishi donne une conférence, en juillet 1936, au département de la construction navale de la Mitsui Bussan Kaisha, devant six mille auditeurs.
Au cours de cette même année, il publie son premier ouvrage en langue anglaise intitulé « Nishi System of Health Engineering ».
Ce livre, qui présente son travail et sa méthode, rencontre un grand succès et sera même réimprimé à plusieurs reprises au cours des décennies suivantes.
Démonstration devant le Prince de Corée
A la fin des années trente, Nishi utilise ses réseaux pour faire la promotion de l’art d’O Sensei auprès du Prince royal de Corée Li Woo.
Capitaine, diplômé de l'Académie impériale de l'armée Japonaise, le Prince est attiré par le sport et les arts martiaux.
Membre de la famille royale de ce pays annexé par le Japon depuis 1910, Li Woo visite le Kobukan dojo de Maître Ueshiba accompagné de son fils et de son épouse.
A cette occasion, O Sensei effectue une démonstration commentée par Katsuzo Nishi en personne. Impressionné par ses techniques, le Prince invite maître Ueshiba à enseigner son art en Corée. Kisaburo Osawa sera après coup dépêché par O Sensei pour enseigner au pays du matin calme.
Devenu un fervent bienfaiteur, Li Woo attribuera, par la suite, une donation financière pour la construction du futur dojo d’Iwama, achevé en 1945, juste avant la fin de la deuxième guerre mondiale.
Création de la fondation Aïkikaï
Le conflit a vidé le Kobukan dojo de ses élèves, la plupart incorporés dans l’armée et entraîné le retrait du fondateur puis de son fils Kisshomaru dans la petite ville d’Iwama. Suite à la capitulation Japonaise, la pratique des arts martiaux est interdit par les Américains et l’activité du dojo de Tokyo est quasiment à l’arrêt.
Membre du directoire de la fondation Kobukaï, Katsuzo Nishi joue un rôle déterminant dans la renaissance de l’Aïkido d’après-guerre. Tout d’abord, il conseille à Kisshomaru de redémarrer l’activité du dojo de Tokyo.
Katsuzo participe ensuite aux réunions de travail organisées pour reconstruire le dojo et demander sa réouverture aux autorités. Fruit des précieux efforts du docteur Nishi et des hommes d’affaires Kinya Fujita, Seiichi Seko et Koshi Nakayama, le ministère de l’éducation autorise le rétablissement du Kobukan le 9 février 1948.
Dans la continuité, la fondation Kobukaï devient la fondation Zaïdan Hojin Aïkikaï Hombu Dojo deux mois plus tard. Kisshomaru Ueshiba est nommé administrateur en chef du Hombu par le tout nouveau conseil d’administration dont fait partie Katsuzo Nishi.
Connexions entre le Nishikaï et l’Aïkikaï
Dans cette période d’après-guerre, les conditions de vie sont encore difficiles. Il n’y a que peu d’élèves inscrits au Hombu, généralement des étudiants de l’université de Waseda et de la Nishikaï, l’organisation du docteur Nishi.
Katsuzo participe activement au rayonnement de l’Aïkikaï. En 1950, il donne une conférence au Hombu dojo intitulée « l’Aïkido et la santé selon la méthode Nishi ». Son allocution sera retransmise par écrit dans la première édition du journal interne du Hombu « l’Aïkikaï-Ho ».
De son côté, Morihei Ueshiba distille plusieurs conférences et démonstrations à la demande des adeptes de l’association Nishi dans les villes de Yokohama, Osaka, Kyoto et Takasaki entre 1949 et 1951.
Les deux amis animent ensemble parfois ces manifestations publiques : conférence du docteur Nishi suivi d’une démonstration d’Aïkido de maître Ueshiba. Personnalité influente, Katsuzo démontre aux adeptes les points communs entre l’art du Fondateur et sa méthode de santé puis encourage tous les membres présents à pratiquer l’Aïkido.
A la source de l’Aïki-Taïso
Pratiquant avancé, Katsuzo Nishi enseigne également au Hombu Dojo. A cette époque, presque tous les membres de l’Aïkikaï suivent les méthodes de santé de Katsuzo Nishi ou de Tempu Nakamura, le fondateur du Shinshin Toitsu Do.
Au cours de cette période de développement de l’art auprès du grand public les responsables techniques du Hombu, Koichi Tohei en tête, sélectionnent des mouvements préparatoires étroitement liés aux techniques de l’Aïkido. De nombreux pratiquants sont ainsi initiés aux exercices du Nishikaï, du Tempukaï et de l’école Makko-Ho.
O Sensei vieillissant, intègre également dans sa gymnastique quotidienne des pratiques de santé, du docteur Nishi, tels que les exercices Mokan Undo ou encore Kingyo Undo (mouvement du poisson), exercice qu’il affectionne particulièrement.
Rayonnement en occident
Au cours des années cinquante, le docteur Nishi continue de voyager à l’étranger pour distiller ses conférences sur l’hygiène et la santé. Il effectue plusieurs tournées aux Etats-Unis et à Hawaï ou ses préceptes font de nouveaux adeptes parmi la diaspora Japonaise. Il visite le Brésil, pour la première fois, en 1953, rencontrant un vif succès.
Devant une demande de plus en plus importante de ses partisans occidentaux, ses écoles Nishikaï d’Hawaï et du Brésil contribuent à la traduction de ses ouvrages en anglais et en portugais.
Le Nishikaï d’Hawaï est à l’initiative de l’invitation de Koichi Tohei, alors instructeur en chef de l’Aïkikaï de Tokyo, dans l’archipel Hawaïen. L’organisation du docteur Nishi, qui compte un nombre important de membres sur toutes les îles, parmi lesquels Sadao Yoshioka et Norio Wakatake, joue un rôle déterminant dans l’introduction de l’Aïkido sur le sol américain.
Par ailleurs, le judoka et aïkidoka français, André Nocquet étudie les disciplines de santé japonaises directement auprès de Katsuzo Nishi et le shiatsu auprès de Tokujiro Namikoshi lors de son séjour au Hombu Dojo de Tokyo de 1955 à 1957. En retour, le docteur Nishi lui demande d’introduire ses méthodes d'hygiène japonaise, dans les organismes officiels français de massage et de gymnastique médicale.
Dernières années
Malgré le décès de son épouse en 1950 et l’âge avançant, l’activité du docteur Nishi ne faiblit pas. Professeur à l’université féminine Sagami, poursuivant ses recherches et ses expériences, il continue de parcourir le Japon pour donner des conférences dans des universités, des entreprises ou encore au ministère de la santé.
Nishi est le premier à introduire, au Japon, le concept de cybernétique, fondé par Norbert Wiener, inspirant ainsi les ingénieurs nippons à l’origine du premier distributeur automatique de billet de banque.
Le 21 novembre 1959, Katsuzo Nishi succombe à une intoxication à l’arsenic, suite à une expérience médicale pour blanchir la peau. Il s'éteint à l'âge de 75 ans.
Ses funérailles ont lieu au temple bouddhiste Tsukiji Hongan-Ji, de Tokyo, en présence de maître Ueshiba et de plusieurs personnalités politiques, militaires et universitaires.
Sa succession est assuré pour son fils Daisuke jusqu’en 1988 et la prise de fonction de son petit-fils Manjiro, actuellement instructeur en chef du Nishikaï de Tokyo.
Héritage
Quasiment inconnu des pratiquants actuels, Katsuzo Nishi et ses exercices de renforcement de la santé sont pourtant bien présents sur les tatamis d’Aïkido du monde entier.
Par exemple, l’exercice Kingyo Undo (ou mouvement du poisson), est toujours pratiqué de nos jours, notamment par le Doshu lors de la préparation du premier cours du matin au Hombu Dojo.
Parmi les experts d’Aïkido japonais qui ont été initiés au système Nishi, Hideki Hosakawa et Masatomi Ikeda ont été sensibles à ses bienfaits. Actif en Suisse, en Italie et en Europe de l’Est, Ikeda Senseï a notamment adopté des éléments dans sa propre méthode de maintien de la santé, le Genkikaï.
Certains experts contemporains émettent l’idée que les techniques actuelles d'Aïki-Taïso debout découleraient de la méthode Shinshin toitsu ho de Tempu Nakamura et celles au sol de Katsuzo Nishi.
La lecture des différents ouvrages du docteur Nishi permet en effet d’identifier différents mouvements tels que Hifuku Undo, des exercices de manipulation des membres inférieurs, du cou ou de la chaîne scapulaire pratiqués dans plusieurs courants d’Aïkido actuels.
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