Isaburo « Bansen » Tanaka, le grand maître d’Osaka

Par Nicolas DE ARAUJO

 

 

 

Isaburo Tanaka fut l'un des rares étudiants à s'être entraîné avec maître Ueshiba avant et après la guerre. À la demande de celui-ci, il fonda un dojo à Osaka au début des années 50, qui devint plus tard le deuxième centre Aikikai le plus important du pays après celui de Tokyo. Partageant une relation étroite avec O Sensei, il consacra sa vie à l'enseignement de l'Aïkido. Shihan 9ème dan et pionnier de l’Aïkido à Osaka et à Kyoto, il fut une figure éminente du développement de l’Aïkido d’après-guerre en dirigeant une très grande organisation dans la région du Kansai.

Biographie parue dans le magazine Self & Dragon Spécial Aïkido n°14 de Juillet 2023.

 

Isaburo Tanaka (田中伊三郎), également appelé Bansen (万川) est né le 21 mars 1912 à Osaka. Troisième fils d’une famille d’artistes martiaux, il pratique le Judo dans sa jeunesse et obtient le grade de quatrième dan. A l’âge de 20 ans, il s’engage dans l’armée et rejoint le régiment de cavalerie de la garde impériale japonaise.

 

La rencontre avec maître Ueshiba

En octobre 1936, Isaburo rencontre, par hasard, maître Ueshiba et son neveu Noriaki Inoue alors en visite à Osaka pour voir sa nièce et son disciple Tsutomu Yukawa. Les deux hommes résident dans un hôtel dont le fils du propriétaire est un ami judoka d’Isaburo. Sur les conseils de cet ami, il décide de rencontrer ce professeur « particulièrement intéressant ». Après avoir été témoin de la virtuosité technique du maître, Isaburo lui demande de lui apprendre son art. Ce dernier lui rétorque qu’il accepte de lui enseigner à condition qu’il aide son neveu Noriaki à trouver un dojo pour enseigner à Osaka. Désireux de relever ce défi, Isaburo se met immédiatement à chercher un dojo car Inoue Sensei sera de retour à Osaka le mois suivant. Par chance, au bout d’une dizaine de jours de recherches, Isaburo trouve une maison vide servant auparavant de salle de billard et disposant de 60 tatamis. Cependant cette grande maison présente un loyer conséquent. Le jeune homme suit les recommandations d’Ueshiba Sensei et réussi à rassembler une douzaine de personnes issues de famille aisées pouvant s’acquitter des frais liés aux dépenses du dojo. Le pari est tenu et le premier dojo d’Inoue Sensei à Osaka ouvre ses portes en novembre 1936.

 

Un dojo, deux maîtres

Désireux d’apprendre, Isaburo suit tous les cours de Noriaki Inoue. Le neveu d’O Sensei est un homme très strict. L’entrainement est sévère, Inoue apprécie particulièrement la pratique à genoux et souligne régulièrement son importance. Maître Ueshiba se rend à Osaka à peu près deux fois par mois. Le jeune Tanaka suit assidument l’enseignement du maître. Isaburo l’accueil chez lui à chacune de ses venues et partage un moment avec lui autour d’un repas. En parallèle de ses deux professeurs, il suit également Tsutomu Yukawa, disciple du fondateur marié à sa nièce. Réputé pour sa force physique, ce dernier réside à Suita depuis 1934 et enseigne au bureau de Police de Sonezaki.

 

Garde du corps dans l’armée

Tanaka s’entraîne avec sincérité jusqu’à son incorporation dans l’armée Impériale Japonaise en avril 1939. A la suite de son départ, Inoue Sensei décide de rentrer chez lui. Les étudiants restants continuent la pratique dans la maison de Yukawa Sensei jusqu’à leurs appels respectifs sous les drapeaux. Pendant son service, un officier, ancien élève de Yukawa demande à Tanaka de lui appliquer un Nikyo pour tester sa technique. Isaburo s’exécute en lui appliquant la technique avec une grande vigueur faisant aussitôt crier l’officier. Ce « fait d’armes » lui permet de décrocher un poste de garde du corps dans l’armée sur ordre direct du commandant. Tanaka et Yukawa gardent le contact et se voient régulièrement autour d’une bouteille de whisky jusqu’au décès de ce dernier survenu en 1942. Isaburo reste dans l’armée pendant toute la durée de la seconde guerre mondiale et ne rentre chez lui qu’après la fin du conflit.

 

Les retrouvailles avec O Sensei

En octobre 1951, Maître Ueshiba cherche à le contacter dans le but de développer dans la région d’Osaka, son art, désormais dénommé Aïkido. Il utilise ses contacts avec le commissariat de Sonezaki pour le retrouver. Informé de sa démarche, Isaburo répond immédiatement à son appel en l’invitant chez lui. O Sensei lui demande alors de rassembler les anciens pratiquants du dojo dans sa demeure afin de pouvoir leur donner une démonstration. Les retrouvailles entre les deux hommes sont une réussite. Aux cours de leurs échanges O Sensei lui suggère de faire bâtir un nouveau dojo et de le rejoindre à Iwama pendant sa construction. Tanaka s’exécute à nouveau et trouve un emplacement proche du sanctuaire de Takahama. Il communique les plans aux charpentiers pour effectuer le travail pendant son absence et se rend dans la demeure du fondateur à Iwama. Il vit auprès de son maître pendant un mois environ, s’entraîne quatre fois par jour et reçoit une instruction individuelle de sa part.

 

Un nouveau Dojo

Au retour de son entraînement intensif, la construction du dojo est déjà terminée. En hommage au fondateur, Isaburo y fait arborer à l’entrée une plaque au nom de « Ueshiba Morihei », ce qui en fait officiellement son dojo. O Sensei est très touché par cette attention. Il effectue la démonstration inaugurale le 10 janvier 1952 et décide de rester auprès de son disciple. Maître Ueshiba reste finalement dix-huit mois à Osaka, entrecoupés de plusieurs retours auprès de sa famille à Iwama. Au cumul, il passe environ huit mois auprès de Tanaka nouant une étroite relation avec lui. Isaburo écoute avec attention ses paroles mêmes si elles sont parfois difficilement compréhensibles pour lui. Ils abordent ensemble le côté spirituel de l’Aïkido et O Sensei lui conseille de lire le Kojiki, un recueil de mythes concernant l’origine du Japon. Au cours de cette période, O Sensei participe à l’activité du dojo, la plupart du temps il regarde la pratique et se lève quelquefois pour instruire les élèves présents.

 

Des années difficiles

Après le départ d’O Sensei, les premières années sont difficiles pour maître Tanaka. L’Aïkido est encore méconnu à cette époque et il doit notamment faire face à de nombreux casseurs de dojo. Plusieurs fois par mois, des pratiquants d’arts martiaux, souvent de Judo et de Karaté, se présentent pour le mettre au défi. Respectant scrupuleusement les consignes de maître Ueshiba de ne pas laisser d’ouverture et de toujours se préparer à l’attaque inopportune d’un visiteur, Tanaka ne perd aucun Dojoyaburi au fil des années. Les comptes restent dans le rouge pendant les sept premières années et Tanaka Sensei songe même à fermer le dojo.

 

Un nouvel essor

Heureusement, le nombre de pratiquants du Osaka Aïkikaï Dojo commence à augmenter rapidement au début des années 60. Sous l’égide de Tanaka Sensei, cette organisation, estampillée Aïkikaï, se développe dans toute la région du Kansai et compte plusieurs dojos situés pour la plupart à Osaka et à Kyoto. A l’instar du fondateur, maître Tanaka instaure un système d’élèves à résidence (uchi deshi) et forme des instructeurs qualifiés salariés au fil des années pour l’assister dans sa charge d’enseignement. Dans le même temps, il participe aux sessions de formation des Shihans organisées par l’Aïkikai à Tokyo. Il reçoit fréquemment la visite d’O Sensei au dojo d’Osaka, lui permettant de profiter personnellement de l’enseignement du Fondateur jusqu’à son décès en 1969. En 1971, le Osaka Aïkikaï Dojo obtient le statut de Fondation de la part du gouvernement préfectoral d’Osaka en reconnaissance de l’important travail réalisé. Au cours des années, l’organisation dirigée par Tanaka Sensei compte des milliers d’élèves répartis dans une quarantaine de dojos et clubs universitaires affiliés, faisant d’elle le deuxième centre d’Aïkido Aïkikaï après celui de Tokyo.

 

Influence internationale

Personnalité éminente au sein de l’Aïkikaï, Tanaka Shihan participe également au développement de l’Aïkido au niveau international. Il accueille des disciples étrangers parmi ses uchi deshi et envoi l’un de ses assistants à Taïwan en 1972. Yukio Kawahara, alors quatrième dan, assume la fonction d’instructeur en chef de l’Aïkikaï de Taiwan. Toutefois, en raison de désaccords politiques entre les deux nations, il est contraint de retourner dans l’archipel nippon l’année suivante. Invité au Canada, par Ishu Ishiyama, un ancien élève de maître Tanaka installé à Vancouver, Kawahara s’établit à Montréal en 1975 et devient par la suite le représentant officiel de l'Aïkikaï au Canada. Conservant des liens avec Taïwan, Maître Tanaka se déplace en personne pour effectuer une démonstration à l'occasion de la troisième coupe d'Aïkido de Tchang-Kaï-Chek en octobre 1978. L’année suivante l’un de ses élèves, Paul C.N. Lee, inaugure un nouveau club d’Aïkido à Taipei, la capitale. Ce dernier représente pendant plusieurs années l’Aïkido de la république de Chine dans les instances de la Fédération Internationale d’Aïkido (F.I.A.). Au cours des années suivantes, Tanaka Sensei se déplace chaque année à Taïwan pour se rendre dans les six dojos relevant de son enseignement.

 

A la recherche de l’essence de l’Aïkido

En 1976, maître Tanaka désire écrire un livre sur l’Aïkido. Cherchant l’inspiration, il se retire dans la grotte d’Iwato sur le mont Takachiho situé dans la préfecture de Kumamoto pour s’entraîner. Il voyage également dans les montagnes de Fushimi près de Kyoto. Après sa retraire spirituelle, il rédige un livre sur les secrets de l’art, fruits de ses échanges passés et spirituels avec O Sensei, qu’il intitule « Aïkido Shinzui » ou « l’essence de l’Aïkido ». Publié dans un cadre privé, l’ouvrage imprimé à seulement 600 exemplaires rencontre un rapide succès et se vend très rapidement.

 

Promotion et transmission de l’art

Reconnu au sein de l’Aïkikaï, il participe régulièrement aux grands événements parrainés par cette dernière, tels que la All-Japan Aikido Demonstration ou encore la Daito-ryu Aiki-jujutsu Takumakai où son groupe d’Osaka est l’invité spécial en juillet 1984. Même à un âge avancé, Tanaka Shihan travaille avec ferveur à promouvoir l’art du fondateur. Soucieux de préserver l’essence des enseignements qu’il a reçu avant-guerre par maître Ueshiba, il transmet un Aïkido vigoureux et puissant au travers de ses démonstrations et conférences où il apparait toujours en Hakama blanc. Son « style » est composé de mouvements circulaires et spiralés et met l’accent sur la position basse des hanches. En aout 1985, il répond favorablement à la demande de Stanley Pranin, rédacteur en chef du magazine Aiki News, pour une interview centrée sur sa relation avec O Sensei. Isaburo Tanaka se consacre à la diffusion de l'Aïkido en tant qu’instructeur en chef de l’Osaka Aïkikaï Dojo jusqu'à son décès, survenu en décembre 1988, à l’âge de 76 ans.

 

Legs et place dans l’histoire

Lors de ses funérailles, plusieurs récits à son sujet l'ont décrit comme l’un des principaux héritiers de l'esprit de l’Aïkido transmit par le fondateur. Il fut le témoin privilégié des évolutions d’O Sensei entre sa pratique d’avant et d’après-guerre. Bien qu’étant une figure peu connue des pratiquants actuels d’Aïkido, maître Tanaka est un personnage notable dans l’histoire de notre art et reste l’un des rares à s’être vu décerné le grade de neuvième dan. Lors de son éloge funèbre, maître Morihiro Saito a dit de lui que « l’Aïkido au Kansaï était Bansen Tanaka Shihan ». Bansen fut le nouveau nom que lui avait donné maître Ueshiba. Après sa mort, Kazuo Nomura Shihan lui succéda en tant que chef instructeur de l’Osaka Aïkikaï Dojo, de 1989 jusqu’à sa démission en 2005. Actuellement le dojo est placé sous la direction Shunzo Honzawa Shihan. Certains des disciples historiques de maître Tanaka ont fondé leurs propres organisations indépendantes et rayonnent actuellement dans plusieurs pays à travers le monde tels que Seiji Tomita (fondateur de l’école Ban Sen Juku en Belgique), Ishu Ishiyama (Shihan chef instructeur Vancouver West Aikikai) ou encore Masashi Numata (Princeton Aïkikaï). Il forma également plusieurs hauts gradés comme Sadao Kotani, Higuchi Takanari (chef instructeur du Kyoto Aikikai Dojo) ou encore Teruo Koyama (7ème Dan, chef instructeur du Kyoto Aikikai Dojo),

 

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