Takako KUNIGOSHI, pionnière et artiste du Kobukan

Par Nicolas DE ARAUJO

 

 

 

Takako Kunigoshi fut l’une des premières pratiquantes du Kobukan Dojo au début des années trente. Pionnière courageuse, elle s’entraina avec sérieux et gagna le respect de maître Ueshiba. Illustratrice de talent, elle participa à la création de plusieurs ouvrages d’arts martiaux dont « Budo Renshu », le tout premier livre de Morihei Ueshiba publié en 1934. Elle s’entraina par la suite au dojo privé de l’Amiral Takeshita et enseigna la self défense féminine jusqu’au début de la seconde guerre mondiale.

Biographie parue dans le magazine Self & Dragon Spécial Aïkido n°9 - Avril 2022.

 

Takako Kunigoshi (国越孝子) est née le 25 juin 1911 à Takamatsu dans la préfecture de Shikoku. Issue d’une famille de militaires, elle intègre dans sa jeunesse la prestigieuse université Nihon Joshi Daigaku, la plus ancienne et la plus grande université privée pour femmes du Japon. Jeune femme talentueuse, elle étudie au sein de la section des beaux-arts de l’université. Manifestant un réel intérêt pour le théâtre traditionnel, Takako effectue des recherches approfondies sur le Kembu, l’art de la danse des armes traditionnelles japonaises (sabre, éventails, lances…). Sur les conseils de son père elle se rend, avec quelques amies, au Kobukan Dojo en janvier 1933, pour recevoir des cours de danse Kembu. Morihei Ueshiba est déjà un maître renommé à cette époque et distille des conseils aux professeures de danses traditionnelles ainsi qu’aux acteurs de Kabuki dans le maniement des armes et dans les mouvements dérivés des arts martiaux.

 

Pionnière au Kobukan Dojo

A son arrivée au Kobukan Dojo, les pratiquants présents lui indiquent qu’ils ne pratiquent pas le Kembu mais l’Aïki-Budo et lui proposent d’observer la séance en cours. Takako est immédiatement conquise par ce qu’elle vient de voir et décide de s'inscrire au dojo de maître Ueshiba. Courageuse et motivée, la jeune étudiante, âgée de vingt-deux ans, se rend seule chaque matin au dojo, pour le cours de six heures, avant d’aller à l’université. A cette époque, le Kobukan ne dispose pas de section féminine. A son arrivée, Takako trouve seulement une autre jeune pratiquante, Kazuko Sekiguchi, plus jeune qu’elle de deux ans. Faute de vestiaire spécifique, les deux pionnières se changent dans un espace extrêmement restreint avant les entrainements. Obligées de mettre et de défaire leurs tenues entourées d’hommes elles doivent faire preuve d’une grande habilité pour se changer. A mains nues comme aux armes, la pratique est rude au Kobukan. Ueshiba Sensei ne fait pas de distinction entre les femmes et les hommes et projette Takako sans retenue particulière. Bien qu’étant frêle et petite (1m53), elle s’entraine avec sérieux avec tous les pratiquants et gagne le respect des uchi deshi qui résident au dojo. Takako pratique avec Shigemi Yonekawa, Rinjiro Shirata, Tsutomu Yukawa et plus particulièrement avec Kaoru Funahashi le plus souple et le plus petit d’entre eux...   

 

Illustratrice du livre Budo Renshu

Chaque jour après l’entraînement, Takako réalise des croquis des techniques étudiées dans le but de mieux les mémoriser. Encouragée par un pratiquant nommé Takamatsu, qui lui demande d’en dessiner un jeu pour lui, Takako investit son temps dans ce projet en regardant attentivement la pratique plutôt qu’en s’entrainant. Intéressé par la qualité de son « aide-mémoire », maître Ueshiba l’autorise à dessiner pendant les cours tout en faisant de multiples corrections… Avant de décider d’en faire un recueil officiel. O Sensei demande alors à Shigemi Yonekawa et Kaoru Funahashi de prendre les diverses poses. Les trois jeunes gens prennent l’habitude de retravailler ensemble les techniques, pendant une heure, après l’entrainement matinal. Bien que les séances de poses rendent le travail plus facile, Takako doit réaliser les illustrations rapidement et se contenter d’un cercle pour la tête et de lignes droites pour le reste du corps. Elle ajoute ensuite les visages, les détails et les tenues une fois rentrée chez elle. Les explications données pendant ces cours sont notées par les élèves Miura et Takamatsu. Secrétaire permanent du Kobukan, Kenji Tomiki est chargé de l’édition manuscrite du livre. Après un an de travail supervisé par Ueshiba Sensei, un ouvrage intitulé "Aikijujutsu Densho Budo Renshu" et composé de plus de deux cent pages est publié en 1934. Maître Ueshiba offre un exemplaire à chaque élève qu’il estime avoir maîtrisé les techniques de base.

 

Assistante du maître    

Au fil du temps et d’intenses entrainements, Takako gagne une solide réputation de pratiquante chevronnée. Une relation de confiance s’est installée avec maître Ueshiba. En 1935, la jeune Kunigoshi reçoit de sa part le Hiden Mokuroku, un catalogue de techniques remis comme preuve de premier niveau de maîtrise. N’ayant pas le temps de le rédiger personnellement, il demande à Takako de le copier elle-même et d’y ajouter son nom. Devenue proche du Fondateur, elle lui sert de partenaire lors de démonstrations et l’accompagne en tant qu’Otomo dans ses voyages à Osaka, Ayabe, Tanabe ou encore Kumano. Elle profite de ces pérégrinations pour utiliser ses talents artistiques en dessinant des paysages ou en réalisant le portrait d’O Sensei. Ne bénéficiant d’aucun traitement de faveur de sa part, Takako doit porter les valises de son maître en plus des siennes, anticiper ses besoins et veiller au bon déroulement du voyage. Elle apprendra plus tard, que le grade de troisième dan lui a été décerné sans qu’elle en soit informée.

 

Instructrice de Self Defense féminine

Takako est sollicité par l’Amiral Takeshita pour venir enseigner l’Aïki-Budo à des jeunes filles de la haute société dans sa demeure de Shibuya. Avec l’accord de maître Ueshiba, elle se rend chez l’Amiral une fois par semaine pendant plusieurs années. En parallèle de son travail et des entrainements au Kobukan, Takako enseigne dans le dojo privé de l’Amiral des techniques d’auto-défense à des femmes de familles nobles et aisées. Dans un Japon de plus en plus militariste, la jeune femme enseigne occasionnellement à des groupes d’employées à la demande de leurs compagnies. Au début de la guerre, Takako donne une conférence dans son ancienne université suivie d’un séminaire pratique de trois jours où elle démontre des techniques d’auto-défense à une cinquantaine de personnes. Reconnue pour ses talents d’illustratrice, Kunigoshi participe à la réalisation d’un livre consacré à la self défense féminine intitulé « Yamato Ryu Goshinjutsu ». Publié en 1937, ce manuel est le fruit d’un travail collaboratif entre Fujiko Suzuki, fondatrice de l’école Yamato et par ailleurs troisième dan de Judo, Yasuhiro Konishi, fondateur du Karate Shindo Jinen Ryu et disciple de maître Ueshiba et Seiko Fujita, Soke de l’école de Ninjutsu Koga. Certainement supervisé par O Sensei, ce manuel technique composé de plus de 200 dessins de Takako s’adresse à la femme moderne japonaise. A partir de 1942, les raids aériens de l’armée américaine sur la capitale rendent la vie des Tokyoïtes de plus en plus difficile. Avec l’intensification des bombardements, les entrainements deviennent impossibles et Kunigoshi Sensei se voit contrainte d’arrêter la pratique.

 

Aikido Maki no Ichi

Au sortir de la guerre, Takako trouve un emploi administratif dans une compagnie à Fujimidai grâce à l’aide de sa famille. Restant en contact avec la famille Ueshiba, elle participe à la rédaction d’un nouveau livre intitulé « Aikido Maki no Ichi ». Cet ouvrage édité en 1954, par le Doshu Kishomaru Ueshiba, reprends en grande partie le contenu de Budo Renshu, publié vingt ans plus tôt. Cette nouvelle édition, revue et corrigée, contient 144 pages au lieu des 218 d’origine et recense 137 techniques au lieu de 166. Les références au militarisme d’avant-guerre ont été supprimées et une nouvelle section intitulée « compréhension de la pratique » a été ajoutée. Si Kisshomaru Ueshiba est crédité comme auteur, deux autres personnes sont impliquées dans sa création. Seigo Yamaguchi pour la rédaction et Takako Kunigoshi pour la réalisation de nouvelles illustrations reprenant et complétant celles de 1934.

 

Enseignante de Sadô

Employée administrative pendant vingt ans, Takako prend sa retraite professionnelle à l’âge de cinquante-cinq ans. Elle décide alors de se consacrer à l’étude du Sadô, l’art traditionnel de la cérémonie du thé et étudie auprès de l’un des plus grands maîtres de Tokyo. En 1981, Takako est sollicitée par Stanley Pranin, rédacteur en chef du magazine Aiki News, pour une interview. Leur entretien paraît également dans le recueil d’interviews menées par l’historien américain intitulé "les maîtres de l’Aïkido, période d’avant-guerre". Aux cours de leurs échanges, elle révèle qu’elle pratique le Sadô comme l’Aïkido en appliquant les conseils de Maître Ueshiba. Elle exprime l’idée « qu’il existe des points communs entre la cérémonie du thé ou l’arrangement floral avec l’Aïkido car le ciel et la terre sont faits de mouvement, de calme, de lumière et d’ombre ». Takako Kunigoshi enseignera les arts traditionnels de la composition florale et de la cérémonie du thé jusqu’à son décès survenu en 2000 à l’âge de 89 ans.

 

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